Petit Pays, le roman de Gaël Faye par Eric Barbier

Petit Pays, quand l’horreur de la guerre rompt avec l’enfance

Petit Pays nous conte l’histoire d’une famille plongée dans le génocide des Tutsis au Rwanda. Des tensions grandissantes dès le début des années 90. Jusqu’au jour fatidique du 6 avril 1994, où le président rwandais est assassiné. Débutent alors des tueries par dizaine, puis par milliers. 800 000 rwandais, en majorité tutsis, seront assassinés d’avril à juin. Le récit se passe au Burundi, à travers les yeux de Gaby, 9 ans.

Gaby vit avec sa soeur et ses parents. L’un est français, l’autre rwandais. Un métissage qui pose déjà problème au sein même de leur maison. Mais Gaby et Ana sont dans l’âge parfait de l’innocence, où la tension bouleverse un instant et s’envole dans un autre. Lovés dans la nature chatoyante de ce pays niché entre le Congo et la Tanzanie, les journées sont douces et leurs conditions de vie agréables. Mais, petit à petit, les conflits culturels rodent au-dessus de leur propre toit.

Petit pays image de la critique du film petit pays d'Eric barbier
Les copains de Gaby dans un ancien van, réhabilité en repère © JERICO FILMS

La vision du cinéaste Eric Barbier

Eric Barbier a retravaillé le roman de Gaël Faye en apportant une vision plus sombre, presque documentaire. Alors que le lecteur ne peut qu’imaginer l’horreur, avec toute l’incertitude et la subjectivité de son regard, le cinéma, lui, nous donne les images. Un attribut qui change considérablement l’ambiance que l’on prêtait au livre. Tout comme Gaby, nous rompons avec l’ignorance pour se confronter à la réalité brutale du génocide rwendais.

Gaby (au centre) lance un briquet sur une voiture imbibée d’essence © JERICO FILMS

Le film s’attache donc davantage au monde des adultes plutôt que celui des enfants. Les frasques joyeuses de la bande de 5 dont fait partie Gaby sont écartées au profit de brèves anecdotes de vol de mangues dans l’arbre fruitier du voisin. Malgré cela, le film se teinte de quelques moments d’allégresse. On pense particulièrement à la photographie douce des paysages africains, aux effets de ralentis des courses dans les champs verdoyants du Burundi, aux mouvements dociles de la balançoire, filmés en contre plongée, laissant apparaître un bout de ciel bleu. L’espoir. Mais ces bribes de joies sont vite oubliées. Au Burundi pendant ces mois de guerre civile, celui qu’on aime peut nous voler, celui qu’on sauve peut tuer.

On retrouve la grande justesse du réalisateur pour raconter les drames, que l’on a pu apprécier dans son adaptation de l’oeuvre de Romain Gary, La Promesse de l’Aube (2017). Pas de surprises esthétiques ni d’extravagances narratives : Petit Pays d’Eric Barbier retranscrit académiquement l’oeuvre de Gaël Faye. En la dotant d’un voile plus sombre, elle glisse dans le récit historique et la pédagogie plus que dans l’effet “journal de bord” du livre. L’écriture à quatre mains, l’image et le son apportent un nouvel éclairage au roman, paru en 2016. Le réalisateur semble sincèrement considérer ses acteurs, leur offrant une palette de jeu complexe et changeante. Les deux enfants, Gaby, interprété par Djibril Vancoppenolle, et Ana, incarnée par Dayla De Medina, sont surprenants de complicité. Isabelle Kabano, qui incarne la mère, tombe magnifiquement le masque de la vanité pour offrir au spectateur l’image – presque insoutenable – d’un visage brisé. Le jeu de Jean Paul Rouve, en figure paternelle, convainc mais n’égale pas ses compères.

Dayla De Medina (gauche) incarne Ana et Djibril Vancoppenolle (droite) Gaby © JERICO FILMS

Petit Pays traverse donc le génocide rwandais à l’image d’un documentaire : caméra vive, émotions fortes, images sublimes. Un film nécessaire pour comprendre les conflits toujours actuels de ces pays d’Afrique. À voir.

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Petit Pays d’Eric Barbier, actuellement au cinéma.
Voir la bande-annonce de Petit Pays ici.
© Pour le dire

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