Rencontre avec la réalisatrice Charlène Favier pour le film SLALOM

SLALOM : Intégrée à une prestigieuse école de ski, Liz (Noée Abita) est volontaire et se bat pour convaincre son entraîneur Fred (Jérémie Renier) qu’il a fait le bon choix en l’intégrant dans l’équipe. Elle réussit et gravit très vite les échelons, pour tomber peu à peu sous l’emprise totale de Fred.

Comment a été pensé ce long-métrage, sachant que vous étiez familière au format court avec Odol Gorri, Amir et Léa, Omessa…?

Charlène Favier
: Je travaille quasiment avec la même équipe sur l’ensemble de mes projets. Avec Slalom, on avait l’impression d’être sur un court métrage qui durait plus longtemps ! J’étais avec ma famille de cinéma, qui sont mes amis. Ces thématiques de quête identitaire, ces jeunes héroines, la résilience, je les remues depuis un certain temps… Slalom faisait sens dans cette continuité. En ce qui concerne Noée Abita, qui est une jeune actrice, révélée en 2017 dans Ava, puis apparue dans Le Grand Bain, Mes Jours de Gloire, Genèse, nous avions déjà tourné ensemble pour le court-métrage Odol Gorri, en 2017. Ce court, je l’avais écrit pendant l’écriture de Slalom, qui durait depuis 2014. Noée a tout de suite compris les enjeux de ce court-métrage, et nous avons pu tourner des séquences un peu similaires à celle de Slalom avec notamment la scène de viol. On avait envie de porter le même message, elle s’est donc imposée.

Sur Odol Gorri, on voit que le rouge est la couleur dominante de l’affiche, couleur que l’on retrouve dans Slalom. Pourquoi cette couleur, et que symbolise-t-elle pour vous ?

Charlène Favier
: Odol Gorri signifie “rouge sang” en basque, et ce court-métrage je l’ai tourné au Pays Basque. Une jeune délinquante s’enfuit de son foyer et se cache dans un bateau de pêche, qui est en vérité un thonier traditionnel. Elle est découverte par les hommes du bateau, qui sont baignés de sang des thons qu’ils agrippent, éventrent… Il y a donc un rapport très primaire au sang. Le sang de la première fois, quand on arrive à la scène de viol plus ou moins similaire à celle de Slalom.

Le sang des règles, aussi…

Charlène Favier
: Tout à fait, puis le sang qui coule du nez de Liz dans Slalom. Le sang, c’est le corps qui exulte une peur, une crainte, c’est comme une extension de quelque chose que l’on ne peut pas tout de suite dire. C’est d’ailleurs son corps qui va, en premier, lui dire que quelque chose ne va pas.

“j’aime faire des choses qui balayent la morale, filmer des sentiments contradictoires, des pulsions.” Charlène Favier

Réaliser ce court-métrage, Odol Gorri, a-t-il été un moyen d’accoucher plus facilement de Slalom, et de le défendre ensuite à Cannes ?

Charlène Favier
: Réaliser Odol Gorri m’a permis de comprendre ce que je voulais mettre en scène. Ensuite, j’ai été confrontée au fait que Odol Gorri dérangeait un peu, car il était davantage équivoque et ambigu. A la fin, Noée Abita est tellement esseulée qu’elle décide de rester avec celui qu’on pourrait appeler “son bourreau » car, à ce moment-là, lui seul lui offre de la liberté. Ce qui questionne la morale. Mais je m’en fiche : j’aime faire des choses qui balayent la morale, filmer des sentiments contradictoires, des pulsions.

Noée Abita dans le court-métrage Odol Gorri, de Charlène Favier (2017)

Pensez-vous que Slalom aidera à dénoncer les abus sexuels et les pratiques abusives dans le milieu du sport ?

Charlène Favier
: J’ai appris justement aujourd’hui que le film allait être soutenu par le Ministère des Sports. Roxana Maracineanu le juge d’intérêt général, ce qui nous a, à tous, fait un bien fou quand on sort de ce type de tournage. Il faut savoir que j’ai écrit Slalom bien avant le mouvement #MeToo. En 2014, quand j’ai commencé l’écriture, on me disait : “C’est trop subtil” . Ou encore : “Tu devrais faire un film beaucoup plus manichéen, un film à charge” . Ou bien : “Les films de sport, ça ne marche pas…” . Personne n’avait envie d’aller sur ce terrain.
Puis il y a eu le témoignage de Sarah Abitbol, patineuse professionnelle qui a avoué avoir été violée par son entraîneur à l’âge de 15 ans, le film autobiographique Les Chatouilles, d’Andréa Bescond… J’avais aussi découvert un rapport interministériel, commandé par Roselyne Bachelot en 2007 – alors Ministre des sports – qui dénonçait de nombreuses pratiques abusives dans le milieu du sport. La plupart classées sans suite. Au bout d’un moment, j’ai donc pris conscience que ce que j’écrivais portait une cause. J’ai commencé à me documenter. Ça a été par la lecture, d’abord, du livre d’Isabelle Demongeot, Service volé, qui est édifiant. Puis, j’ai épluché des journaux locaux, des plaintes déposées auprès d’entraîneurs et complètement étouffées…. Cela a participé à mon envie de terminer ce long-métrage.

On sent que vous ne chercher pas à condamner par le personnage de Fred, mais plutôt à informer, à prévenir de ce genre de dérives.

Charlène Favier
: Exactement. Tout d’abord, je ne pense pas être une anti-mec et ce n’est absolument pas le message que je voulais passer par ce film. J’avais envie de faire un film pour tout le monde : pour les entraîneurs, pour les jeunes, pour les mamans. Le fait de montrer cet homme qui, à l’origine, est sain et passionné de sport, s’enliser dans une histoire complexe entre soif de victoire, de sexe et d’amour, nous permet de comprendre comment il peut déraper. On peut décortiquer cette histoire des deux points de vues ; celui de Liz mais aussi de Fred, pour nous aider à comprendre comment il peut en arriver là. Et cela peut servir aussi dans le milieu sportif au global : les entraîneurs manquent cruellement de pédagogie, de codes, c’est cette ignorance qui va pousser Fred à l’irréparable.

Il y a sans doute eu une part d’intime, une envie personnelle de décrier cette histoire et le combat de cette jeune héroïne ?

Charlène Favier : Un premier film est toujours, selon moi, nourri de choses très personnelles. Il y a beaucoup de choses autobiographiques dans ce film, mais il y aussi plein de choses qui servent uniquement la fiction. L’abus, l’emprise, sont aussi des choses que j’ai pu connaître dans ma vie de femme mais pas seulement dans le milieu du sport (NDLR : la réalisatrice Charlène Favier a pratiqué du ski à haut niveau jusqu’à ses quinze ans).
Ce qui est difficile, quand on traite d’un sujet très personnel pour son premier long-métrage, c’est d’arriver à en faire une fiction. Je suis rentrée à la Fémis en 2014 et était logée par Marie Talon, scénariste et ancienne professeur de sport. Elle m’a beaucoup aidé, à travers de nombreuses discussions, à accoucher de mon histoire. J’ai été accompagnée aussi d’Antoine Lacomblez, que j’adore, que j’ai rencontré grâce à Claude Mouriéras, responsable des Ateliers de la CinéFabrique à Lyon. Il m’a surtout aidé dans la construction des dialogues.

“Un premier film est toujours, selon moi, nourri de choses très personnelles.” Charlène Favier

On sent qu’il y a un travail sonore assez puissant, dans l’idée de créer une certaine enveloppe oppressante autour de Liz. Comment avez-vous communiqué avec votre équipe pour travailler sur ces ressentis ?

Charlène Favier
: On s’est surtout concentré sur le point de vue de Liz : ses respirations, le battement de son cœur, ce qu’elle peut entendre avant de commencer la compétition, pendant qu’elle skie… Même la montagne est filmée comme un reflet de l’état mental de Liz. Ce qui a été compliqué a été de trouver la bonne musique pour le film. On a travaillé avec un collectif parisien, Low Entertainment, pour créer une musique aux tonalités années 80 avec des vieux synthés, du rock. Ce qui avait aussi pour but de donner un aspect intemporel au film, et qui me rappelait les musiques que j’écoutais dans mon enfance, étant née en 1985. On a aussi ajouté du piano, du violon, pour donner aussi une tonalité romanesque au récit.

Puis il y a Vivaldi, dans le camion d’un chauffeur.

Charlène Favier : J’aime beaucoup ce moment car il vient d’un souvenir d’enfance. Un vieux chauffeur conduisait le bus qui me ramenait chez moi et écoutait de la musique classique à fond. Cette scène tranche avec l’univers de Liz car, d’un coup, elle sort de son emprise psychologique. C’est comme un moment de grâce dans son sombre à elle, qui lui redonne foi en l’humain. C’est peut-être même grâce à cette scène qu’elle commence à vouloir s’en sortir.

Photographies des scènes de film © Charlie Bus Production

Interview réalisée le 30 octobre 2020. Merci à l’UGC Lyon pour leur accueil et pour cette rencontre presse. Merci à Charlène Favier pour sa disponibilité et son accessibilité.

© Pour le dire