L’art incongru du voyage en 2021

Le voyage, ce grand oublié

Voyager. Un verbe que l’on utilise peu ces derniers temps. Ou bien pour s’entendre dire qu’il est interdit de le faire, que le voyage est altéré, repoussé, suspendu. Il n’est qu’une case que l’on pose loin dans un coin d’un cerveau déjà bien occupé. “Voyager”. On pourrait presque souffler du nez rien que d’y penser. “Quelle idée. De toute façon, tout est fermé”. Oui, mais… Pas tant que ça, en réalité.

Cette pause d’un an semble avoir altéré notre vision du temps. La vie d’avant est devenue une énigme, le passé a été flouté par l’insolite. Il nous apparait à la fois proche et terriblement loin. Et au fil des pas, qui sont des mois d’incertitudes, le tunnel devient de plus en plus sombre. L’avenir calque désormais la couleur maussade de l’actualité.

On ne sait plus comment se rencontrer, comment s’appréhender, se toucher, se comprendre. L’idée même d’une bise nous effraie, sans parler d’un geste tendre. Les gestes sanitaires. Des mots-barrières, des mots barbares, des frasques essentielles de notre quotidien. Nous ne sommes ni sauvages, ni inconscients. Donc, nous appliquons. Si bien, qu’en peu de temps, des murs invisibles ont séparé les Hommes, fermé les pays, éloigné les cultures, érigé des frontières. Tout ce que nous avions souhaité rassembler, chérir ou abolir se voit désormais reconsidéré.
Sortir de son quotidien devenait presque nécessaire. Si nous ne caressons jamais l’inconnu, nous devenons notre propre ennemi : enfermé dans un mode de pensée, apeuré du changement, de tout ce qui ne nous est pas familier.

Il suffisait d’un coton tige éminemment long, venant chatouiller – ou torturer – certaines cavités rarement empruntées. Un simple bâton blanc et une négation pour se voir octroyer un passe-droit. Cette habitude prise, il devenait presque aussi simple de voyager comme avant. Une étape supplémentaire dans l’organisation de voyage. Après tout, nous sommes des êtres évolutifs. S’il n’y a que ça pour nous faire décoller, partir, s’aérer.

Ce qu’il reste du voyage en 2021

On ne circule plus sur Terre comme on le faisait il y a deux ans. Non. Il faut être réaliste : des terres brûlent plus les pieds que d’autres. Alors, on se cantonne au possible. L’Europe ne nous ouvre que quelques bras. C’est dans ses îles reculées que l’on peut se surprendre à rencontrer toute une tranche de la population, autrefois étriquée dans des bureaux citadins. Les Canaries, les DOM, Madère… Ces îlots sont un paradis pour qui vient s’échapper de ses quatre murs bétonnés. Qu’il est alors bon de respirer un nouvel air. Des vents marins, des vents contraires. Peu importe, tant que cela nous donne des sensations. Ces nouveaux voyageurs usent des tables de cafés, des canapés d’auberges ou des coins de plage reculés pour télétravailler. Le télétravail est Roi et la nouvelle terre son royaume.

Ce que nous a montré cette nouvelle ère, c’est l’importance de notre cadre de vie. Voyager n’est donc plus seulement prendre un sac à dos et partir. C’est repenser son escapade, améliorer ses conditions de vie, repenser son quotidien autre part en intégrant d’autres paramètres. Avoir toujours de la batterie, d’abord. Sur son téléphone et sur son ordinateur portable. On déconnecte donc moins, mais on a le luxe du paysage. Prendre de longs séjours en auberge de jeunesse, aussi. Là où il était bon d’enjamber chaque adresse d’auberges par pas de deux ou trois nuits, ici une quinzaine de jours semblent être la bonne formule. Travailler signifie vivre dans un rythme. Et notre ami Voyage se moque des call à 9h et autres obligations de fin de journée. Se poser, c’est aussi réfléchir à l’après. Anticiper dans ce brouhaha d’incertitudes. Éviter les complications, se laisser le temps de la prochaine destination. En 2021, rien ne presse. L’important est plus que jamais de vivre son présent du mieux que l’on peut. Vivre pour soi, donner du sens à son quotidien. Attraper la philosophie du baroudeur en restant citadin.

“Quand on a le choix entre rester et partir, il faut partir”

Photographie en Une : © Tim Gouw

Photographies en corps de texte : © Pierre Frink

Texte © Pour le dire