Adieu les cons d’Albert Dupontel

“Lorsqu’on n’a rien, on n’a rien à perdre”

Que faire quand tout semble se déliter autour de nous ? Quand le monde et sa modernité nous échappent ? Que la stupidité, l’égocentrisme et l’inactivité prennent de plus en plus de place ? 

Suze Trappet et Jean-Baptiste Cuchas mènent des vies bien opposées. L’une est coiffeuse et se retrouve avec une toux mystérieuse. L’autre est dans le support informatique et se voit arracher à ses plans de carrières au profit d’une double décennie en moins sur le CV. Leurs routes débouchent alors sur la même impasse : un petit bureau administratif, caché parmi d’autres. Suze vient y déposer une réclamation. Jean-Baptiste vient s’y donner la mort. Mais les choses ne se passent pas comme prévu. Suze et ce drôle de Monsieur Cuchas, coincé dans un costume noir et un destin tout aussi sombre, décident de fuir ensemble suite à un malencontreux événement. 

Albert Dupontel dans le rôle de Jean-Baptiste Cuchas

Adieu les cons, une fable triste mais colorée 

Albert Dupontel nous livre un étrange tableau de deux personnages arrivés au pied du mur. Ces âmes tristes réussissent, le temps d’une quête, à s’élever vers un peu de joyeuseté. Suze cherche à retrouver son enfant, car c’est ce tout ce qu’il lui reste à prendre de bonheur avant la fin. Le grand blanc. Ils croisent alors le chemin de M. Blin, qui travaille aux archives alors qu’il est aveugle, montrant ainsi que la société ne tourne vraiment pas rond. Dupontel nous ravit une fois de plus par un long-métrage qui a le sens du cadre, du rythme et de la tournure de phrase. 

Cette fable tortueuse à la photographie chaude – comme dans la plupart des films du réalisateur, de Bernie à Au revoir là-haut – nous réconcilie avec le drame joyeux. Car, dans ce film, les larmes s’écoulent autant que les rires. Par un choix habile de costume – le rouge pour Virginie Efira, pour son lien étroit avec le sang, le costume noir pour un Albert Dupontel maussade, le multicolore pour un Nicolas Marié farfelu -, Dupontel réussit parfaitement à recréer une ambiance de conte pour enfants dans un réalisme assourdissant. 

Albert Dupontel (Jean-Baptiste Cuchas) et Virignie Efira (Suze Trappet)

L’œil sensible du réalisateur permet aux comédiens de nous offrir un jeu qui nous transperce l’âme. Qu’il s’agisse d’une Virginie Efira, dont on n’a plus besoin de préciser le talent, d’un Nicolas Marié extraordinairement timbré et optimiste, ou même… De lui-même, en personnage sur le fil et sentimentalement névrosé, Albert Dupontel confirme qu’une bonne histoire, au cinéma, ne peut être livrée qu’à travers une certaine honnêteté.

Le con c’est vous, c’est moi, c’est ce qu’on fait de nous” – Albert Dupontel chez France Inter, 19 mai 2021

Dupontel, maître de la satire sociale sensible

Chez Dupontel, il n’est pas rare que l’engagement se maquille de l’absurde. Le réalisateur s’amuse de critiquer ce qui lui plaît sous couvert d’une écriture fine et cynique. Les policiers sont moqués à plusieurs reprises, l’utilisation exacerbée de smartphones dénonce, à travers plusieurs scénettes, l’abêtissement et le voyeurisme de l’humain… Dupontel s’exprimait sur France Inter, ce 19 mai dernier : “On est conditionné pour ne pas être intelligent. Et c’est en voyant des films que l’on finit par comprendre qui l’on est”. L’ancien n’est plus, et c’est avec une nostalgie palpable que le réalisateur suit le parcours de ses personnages. 

Le réalisateur salue également les artistes des plus petits écrans à qui il offre des rôles atypiques. On retrouve ainsi des figures emblématiques d’internet, tels que Grégoire Ludig et David Marsais, du Palmashow – également à l’affiche de Mandibules de Quentin Dupieux -, Kyan Khojandi, auteur du format “bref” et du podcast “Un bon moment”. et, parmi eux, une figure moins connue :  Bastien Ughetto, de la chaîne Youtube “Les parasites”. Albert Dupontel se donne donc une totale liberté dans son casting, montrant que n’est pas uniquement bon comédien celui qui suit un parcours tout tracé. 

Les comédiens David Marsais (tout à droite) et Grégoire Ludig (tout à gauche), du Palmashow

Adieu les cons est donc un petit bijou brut de véracité et de grandiose. Sa caméra, sa photographie, son écriture… Dupontel nous enivre quoi qu’il arrive et quel que soit le sujet traité. À voir.

© Pour le dire

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