Nomadland de Chloé Zhao

Nomadland : un voyage sur fond sociétal

Fern a vécu toute sa vie dans une petite ville ouvrière des Etats-Unis, dans le Nevada. Après la fermeture de l’usine qui nourrissait la majorité des habitants du coin, et au décès de son mari, elle décide de partir sur la route. Avec un van en guise de maison, elle cumule les petits boulots. Sur sa route, elle recroise les mêmes visages : des gens de son ancienne région, partis après la crise, des travailleurs intérimaires, installés sur une courte période dans la région. L’une d’eux, Linda May, lui parle alors d’une communauté de nomades à la philosophie accessible à tous.

Traversant les Etats-Unis aux côtés de Fern, on en apprend un peu plus sur la vie de nomades. Entre échanges de conseils, d’objets simples mais essentiels, de feux de camps conviviaux… Fern apprend de ceux qui n’ont pas forcément eu le choix de leurs conditions de vie mais qui en ont adopté les codes et les valeurs. Et ce voyage initiatique, on l’emprunte avec elle. Evidemment, cette traversée de villes en villes, d’usines en usines, ne se fait pas sans secousses. Nomadland nous montre aussi l’importance des repères dans le changement. Pour Fern, il s’agit de vieilles photos, d’une assiette d’un ancien service de table, d’un lit qui lui offre un (ré)confort sans égal. Dans le plus grand des minimalismes, nous avons toujours quelque chose qui nous rattache à notre vie passée ou à notre nous intérieur. 

Nomadland : l’humanité avant le reste

Chloé Zhao nous livre donc une fable humaine sensible. Fern ne baisse pas les bras et réapprend à s’ouvrir à l’autre tout au long de sa quête. Les dialogues sont fuselés à la manière de préceptes philosophiques, sans que le film ne tombe dans le cliché. Ces courtes discussions, ces bilans de voyages, les mots résonneront auprès de ceux qui ont un jour pris la route. Lorsque nous lâchons notre armure, sorte de résistance quotidienne construite par les habitudes, par le quotidien, le stress, nous devenons intimement réceptifs. 

Fern (Frances McDormand) et Dave (David Strathairn)

Car ce qui réunit avant tout l’Homme, ce n’est pas nécessairement le travail. Ni ses revenus. Ni son savoir. C’est son habilité à recevoir, partager, à accueillir l’autre sans jugements, sans peines. A ouvrir son cœur et à raconter ses histoires. Ses écorchures. Ses joies. Et à avancer non pas malgré elles, mais avec elles.

Une esthétique et une musique au service de l’histoire

Impossible de livrer une histoire si sensible sans une esthétique particulière. La réalisatrice Chloé Zhao combine donc les arts et livre un long-métrage aussi poignant que poétique. Les premières touches de piano sont sans équivoque : le maître Ludovico Einaudi sublime, comme à chaque fois, mouvements et images. On pense d’ailleurs à Intouchables, puis à The Father, le dernier chef-d’œuvre où apparaît un Anthony Hopkins profond et habité. Le compositeur s’accorde donc parfaitement avec les drames familiaux et sociétaux, élèvent le poids des mots pour en faire une poésie qui résonne. 

La photographie nous rappelle ces grandes fresques cinématographiques qui content le voyage intérieur et extérieur. On pense à l’inégalable dans la catégorie du road movie, Into the Wild, à l’utopique Captain Fantastic, au sublime Manchester by the Sea. La pureté des cours d’eau, des paysages, la beauté des plaines immenses et vierges… La photographie est là pour nous rappeler, aussi, que c’est toujours la nature qui prédomine sur l’Homme. Qu’importent ses combats et ses quêtes, elle le ramène au vrai, au brut, à l’authentique. 

Véritable philosophie du voyage et avec une empreinte sociétale forte, Nomadland secoue chez nous différentes vagues d’émotions. Que vous ayez parcouru d’autres terres que la votre, partagé un amour sans failles, vécu des semaines en communauté avant de repartir, vous retrouverez ces mêmes sensations de nostalgie joyeuse. Chloé Zhao confirme donc ses talents pour raconter des histoires simples et sublimes à la fois. “There is no final goodbye. We just say : I’ll see you down the road.” À voir. 

La bande annonce : https://www.youtube.com/watch?v=6sxCFZ8_d84


Photographies : © SEARCHLIGHT PICTURES

© Pour le dire

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