Serre moi fort de Mathieu Amalric

Que reste-t-il de nous, quand on part ? Des bruissements de voix ? Des objets ? Des souvenirs étrangement sélectionnés, comme des détails abrupts de notre personne, un détail de scène de vie, une musique dans un café  ?

Clarisse quitte un jour sa maison, où elle y laisse mari et enfants. Nous voyageons ensuite avec elle entre son présent et sa mémoire. Adapté du livre de Claudine Galéa, “Je reviens de loin”, écrit en 2003, ce livre a été pensé comme une pièce de théâtre. Mathieu Amalric a décidé d’en réaliser un long-métrage, qui sort ce 8 septembre 2021.

L’intimité

Le réalisateur semble vouloir peindre l’intime et ce dès les premières images du film. On y voit des couvertures défaites, des corps endormis dont les membres s’explosent et s’étalent de partout dans le lit. Le son a également une importance particulière et ajoute de la substance aux décors. Bruits de la respiration, souffle chaud, froissement de vêtements. Cette intimité brute est une invitation au voyage avec Clarisse, qu’il soit physique comme mental. Les dessins d’enfants sont omniprésents et décorent les objets du quotidien de Clarisse. Ainsi, son briquet, son téléphone portable, même des jouets retrouvés sur la banquette arrière de sa voiture, la ramènent constamment à ceux qu’elle a quitté. Le réalisateur a d’ailleurs dit dans son interview donnée au Comoedia quelques jours auparavant : “Ce texte m’a donné envie de faire une liste d’objets. Je me suis rendue compte que cette étape était extrêmement importante.

Le vide et le manque

Sans connaître véritablement la raison de ce départ, nous nous abreuvons de flashbacks de moments de famille. Clarisse semble être résolue à ne pas vouloir faire marche arrière et, pourtant, nous sentons une attache, une résistance, une envie de créer encore du contenu pour alimenter son présent. Pour cela, Mathieu Amalric reprend les codes du livre de Claudine Galéa et crée des parallèles entre la mère, le père et les enfants : même séparés, ils sont liés par des détails. Ses souvenirs deviennent ainsi une présence fantomatique, qui ère et dont les intentions sont obscures. Ce souvenir est-il réconfortant ou destructeur ? Parfois les deux. Le spectateur est donc renvoyé à ses propres émotions du deuil, de la rupture sentimentale, d’abandon, ou de tout grand changement de vie. Tourner la page ne se fait donc jamais sans fantômes. 

Vicky Krieps dans le rôle de Clarisse

L’espoir

Galéa / Amalric semblent donc écrire le deuil et ses différentes phases. Subtilement explorées et représentées, elles rendent compte de la véritable traversée que peuvent emprunter les personnes ayant vécu des drames. La pirouette poétique de ce film veut que nous ne saisissions pas tout de suite qui quitte qui, et pour quelle raison. Mais lorsque le deuxième tiers du film arrive, nous comprenons. Alors, tout le jeu de Clarisse prend sens. Car il s’agit véritablement d’un jeu : croire encore, prétendre qu’ils sont là. Qu’ils pensent à nous. Que nous avons encore une place, dans leur esprit, car ils en occupent une énorme dans la nôtre. L’espoir maquille donc l’horreur du quotidien de Clarisse, devient son astuce, sa carotte pour avancer. Et guérir, à son rythme. 

Serre moi fort, sortie en salles le 08 septembre 2021

Avec Vicky Krieps dans le rôle de Clarisse, Arieh Worthalter dans le rôle de Marc (père), Anne-Sophie Bowen-Chatet dans le rôle de Lucie (la fille), Sacha Ardilly dans le rôle de Paul (le fils).

© Pour le dire

PHOTOGRAPHIES © Les Films du Poisson