Illusions Perdues de Pauline Bayle au Théâtre de la Croix-Rousse

Tout le monde a un rêve. Vous, moi. Les autres. Tout un tas de gens. Et si récemment Raiponce l’a chanté éperdument, les textes des plus grands le répètent, par le prisme des créations des contemporains. Rêver ses ambitions, c’est déjà s’y approcher. Et quand le vent se lève, il faut tenter de (le) vivre.

Illusions Perdues, un texte résolument contemporain 

La metteuse en scène Pauline Bayle poursuit avec cette œuvre d’Honoré de Balzac son travail sur les œuvres littéraires majeures de notre culture. “Après avoir exploré l’univers d’Homère pendant trois ans, je voudrais me plonger dans celui de la Comédie humaine et raconter l’ascension et la chute d’un homme en un seul et même mouvement.” exprime-t-elle dans sa note d’intention.

“L’ascension et la chute d’un homme”, c’est précisément de cela qu’il s’agit. 

Lucien est un jeune poète plein d’ambition. Sur les conseils d’une relation bien placée, il quitte son Angoulême natale pour s’élancer dans Paris. Mais très vite, il se rend compte que ce ne sont ni les contrats avec des maisons d’édition ni les mains serrées avec des libraires de quartier qui l’attendent, mais plutôt désenchantement et solitude. 

Le Paris décrit par Balzac ressemble à celui que l’on connaît : un spectacle vivant étalé sur des kilomètres, où se heurtent sur le goudron les pas pressés des passants, errent les grands rêves de chacun, compressés dans l’air ambiant, discutent de grands penseurs et des candides adolescents sur les chaises en osier des mêmes institutions.  Alors Lucien, qui arrive cheveux au vent, avec une moue ingénue et une chemise trop grande, fait forcément impression. Ni bonne, ni mauvaise. Du moins, pour le moment. Car si les rires peinent à se feindre, la malice, elle, se déguise facilement. Ce candide poète des temps modernes se livre comme un plat savoureux aux grandes gueules littéraires du tout Paris. Pour percer ? Il faut saisir son lecteur. Et pour cela, rien de mieux que de piquer le sujet de son écrit : “Si vous êtes bons, faites vous méchants” .

Pour réussir et plaire à ses nouveaux amis lecteurs, Lucien emprunte alors des routes sinueuses… Et s’enlise petit à petit dans les rouages du jeu satirique des journalistes.

La vie littéraire : un spectacle bien rôdé 

Pauline Bayle mise sur un décor minimaliste mais efficace : des gradins avec des spectateurs tout autour de la scène – raccourcie – de théâtre. Ainsi, les comédiens jouent pour nous mais jouent surtout d’eux-mêmes. Cette mise en abyme sert donc le propos des textes de Balzac et de sa Comédie humaine dont il est le fin serviteur. 

À tour de rôle, et aux moyens de quelques accessoires, les six comédiens changent de corps, de sexe, d’intentions. Un libraire véreux, un rédacteur en chef habile et double-jeu, un journaliste cynique presque trop sympathique, une comtesse rusée et qui a le bras long, une comédienne presque aussi naïve que lui mais qui a l’expérience du jeu, le plateau tout comme le quotidien de Lucien vrombit sous les figures de tous ces nouveaux personnages. 

Pourtant, le spectateur n’est pas perdu. En un geste, en un tombé de chemise ou une chevelure retenue, nous comprenons à qui nous avons affaire. Excepté pour le comédien, au centre de l’intrigue et de la scène, qui ne change pas. Est-ce alors un moyen de nous communiquer les perpétuelles mal-intentions des personnages, qui se déguisent et changent de chemise au gré de leurs intérêts ? 

La musique de Julien Lemonnier ajoute à ce Paris intemporel des touches de modernité, par des sonorités électroniques et animales, donnant corps au récit. La scène de danse du milieu de pièce est comme un tournant dans le récit, comme une montée en puissance de la ruse et de la soif de succès des personnages. Après une course effrénée dans un monde qui n’est pas le sien, à vivre une vie où s’empilent les cadavres, assassinés par la plume de Lucien, quelle sera la finalité ? 

Vous le saurez en suivant les pas de Pauline Bayle…

Photographies © Simon Gosselin
Illusions Perdues de Pauline Bayle – En ce moment au Théâtre de la Croix-Rousse
© Pour le dire