Les Banshees d’Inisherin de Martin McDonagh

Qu’obtient-on, dans le silence ? Une forme d’allégresse, un contentement généralisé ? Ou le vit-on comme une condamnation, un poids lourd à porter ?

Pádraic (Colin Farrell) se rend, un après-midi comme un autre, chez son ami Colm (Brendan Gleeson). Rien ne présageait que ce jour serait différent. L’île était identique, la mer était agitée et le vent apportait avec lui bruits sourds des coups de fusil. Bref, rien, non, rien qui ne puisse montrer le moindre signe d’un changement pour Pádraic. Et pourtant…

Le paradoxe du bateau de Thésée 

Le constat est posé : Pádraic et Colm sont amis depuis toujours. Habitués des bières au pub, des soirées à bavarder avec les différents habitants du village, leur amitié est simple.

Mais l’un d’eux décide de rompre avec ce quotidien. Le divertissement prévalait-il, tout ce temps, sur la solitude ? Se divertir. Pádraic voit cela comme un bien sage dessein. Colm, à l’inverse, est frappé par l’expérience tangible de notre mortalité et voit désormais ces doux moments avec son fidèle ami comme une perte de temps. Un affront à la vie, qui lui glisse entre les doigts à chaque instant. Il se met alors à composer frénétiquement, dans le but de laisser quelque chose, sur cette terre, capable de dépasser sa condition.

Bien que sa stature reste identique, Colm apparaît ici comme un nouvel homme. Là est le paradoxe du bateau de Thésée : tout au long du voyage, le bateau se voit modifier par des nouvelles pièces, de ça et de là. À la fin du voyage, il est le même et pourtant il est complètement changé. Et cette question se transpose à l’échelle d’une vie tout entière : les événements nous élèvent-ils ou sont-ils assassins de celui ou de celle que nous étions, avant ? 

Un conte à l’humour noir

Les Banshees d’Inisherin se vit comme un conte. L’élément qui nous frappe immédiatement est la musique. Le compositeur New-Yorkais Carter Burwell, à la fois familier du cinéaste et des récompenses, immortalise ici une atmosphère de ballade celtique, où violons, harpes et flûtes font danser cette intrigue. Si le scénario peut se résumer en quelques mots : “un homme décide un jour qu’il ne veut plus être l’ami d’un autre homme”, ce sont les péripéties de Pádraic qui font de cette fable piquante une épopée comique et contemplative pour le spectateur.
Chaque nouveau défi est comme un parchemin épais qui se tourne, dont la calligraphie chatoyante pose le décor d’un nouvel arc. Et c’est dans la finesse de l’écriture du réalisateur que l’on est captivé par la détermination à la fois stupide et courageuse de ce cher Pádraic. 

Il y a aussi le titre, mystérieux, dont on ne saisit pas vraiment le sens. Les Banshees sont-ils des créatures de bonne ou de mauvaise augure ? Scellent-ils déjà le destin de nos héros, avant même le dénouement ?

On ne peut également oublier de mentionner la sorcière du village. Ce personnage, omniscient, interprété par l’actrice irlandaise Sheila Flitton, nous sert de signal. Sa simple apparition est un présage, qui nous pousse à louer toute notre attention au discours, aux images, aux expressions du visage.

Enfin, il y a le cadre. Cette île oubliée confine les destins et les trajectoires de ses héros. La photographie délicate de Ben Davis permet une intemporalité au récit. L’Irlande apparaît sans artifice, malgré le travail soigné de McDonagh à la réalisation. La mécanique est bien huilée : un dynamisme et une diversité de plans composent une histoire qui sera appréciée à la fois pour sa simplicité et pour sa richesse.

Outre la limpidité du jeu des deux personnages principaux, il faut également citer Barry Keoghan, découvert dans Dunkerque, incarnant l’idiot sensible du village, et Kerry Condon, la sœur de Pádraic, fine et puissante. Une fable poétique et cruelle à voir absolument.

© Photographies : Walt Disney Company

© Pour le dire

Ce contenu a été publié dans Film. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.