Rencontre avec l’équipe du film Les Choses Simples

Vincent (Lambert Wilson) et Pierre (Grégory Gadebois) n’ont a priori rien en commun. Qu’il s’agisse de leur mode de vie, de leur personnalité, leur lieu de résidence, leurs désirs ou même leurs ambitions, on ne trouverait sur cette Terre plus opposés que ces deux-là. Pourtant, un événement soudain titille le hasard. Alors, heureux événement, ou terrible calvaire ?

Ce film, c’est donc avant tout une histoire de rencontres. Une rencontre de l’autre, et une rencontre de soi. Une fois que l’on décide d’accueillir la différence de l’autre : quelle part de nous cela fait resurgir ?
Rencontre avec le réalisateur Eric Besnard et les comédiens Lambert Wilson et Grégory Gadebois.

Pour le dire : On sent, dans ce film, qu’il y a une volonté de retourner aux choses essentielles de la vie. En se confrontant au personnage de Pierre, qui vit en pleine nature auvergnate, Vincent se rend compte que son quotidien d’homme d’affaires vivant à 200% n’est plus vivable. Le film cite d’ailleurs Pierre Rabhi, “la sobriété heureuse”. Était-ce un clin d’œil à l’auteur ? Avez-vous eu d’autres sources d’inspirations, dans votre écriture ? 

Eric Besnard : Je suis très supporter de ce que Pierre Rabhi a écrit. J’ai d’ailleurs écrit un long-métrage sur la fable du colibri, qui ne s’est jamais fait. Ce qui m’intéressait, surtout, dans l’écriture, c’est de faire transparaître les deux facettes que l’on a chacun en nous. On peut être, à degrés divers et à différents passages de notre vie, celui qui est compétitif, ancré dans son époque, avide de reconnaissance auprès de ses pairs. Puis, on peut faire un pas de côté, décider que l’on a du temps, réfléchir à la vie et estimer que l’on a, finalement, besoin de peu. Personne n’est tout à fait Elon Musk ou un moine bouddhiste vivant près du Mont Fuji. J’aimais l’idée de personnifier ces états d’âmes et les mettre face-à-face. 

Pierre, interprété par Grégory Gadebois

Avec l’époque que nous traversons, votre film fait plus que jamais écho à des questions que nous pouvons tous être amenés à nous poser : ma vie a-t-elle du sens ?

Lambert Wilson : J’ai moi-même traversé les mêmes questionnements que mon personnage dans le film. Ce questionnement continue à exister, à grandir, même. Ce désir d’autre chose, de fuite, est très présent en moi. Avec les récentes crises et guerres que nous rencontrons, ce film est encore plus contemporain que s’il était sorti il y a deux ans. Ce personnage est intéressant car il joue perpétuellement – il est d’ailleurs tenté par la comédie, le théâtre – et propose sans arrêt des versions ambiguës de tout. On ne sait jamais véritablement ce qu’il ressent. Est-ce qu’il joue ? Ou est-ce qu’il se cache ? En tant que comédien, c’est un numéro particulièrement technique, de jouer celui qui feint de jouer. 

Grégory Gadebois : C’est aussi une manière de pointer du doigt ce questionnement essentiel : “Qu’est-ce qui nous rend vraiment heureux ?” . Il y a ce qu’on aime vraiment faire, ce que l’on croit que l’on aime vraiment faire. S’asseoir près d’une rivière, par exemple. Certains apprécient cette pose, cette méditation. Et d’autres ont l’impression que ça leur plaît, que c’est précisément comme cela qu’ils seront heureux. Je trouvais donc intéressant d’explorer cette zone où les gens ne savent plus vraiment qui ils sont. 

Lambert Wilson : J’ai une anecdote à ce sujet… J’ai fait moi-même le choix de quitter la ville pour la campagne et d’habiter en Bourgogne, près d’une rivière. Sauf que cette rivière m’angoisse complètement. [Rires] 

Vincent, interprété par Lambert Wilson

Le personnage de Lambert Wilson est relativement complexe. Homme d’affaires excentrique et avec une certaine vision du bonheur, il semble même difficile à apprécier, aux premières minutes du film. Et surtout pour Pierre, qui semble ne pas pouvoir s’en débarrasser alors qu’il le rejette constamment. 

Eric Besnard : Le postulat est que vous avez, en face de vous, un personnage qui est pénible. Malgré plusieurs tentatives de rejet, il revient, comme un boomerang. Une fois, deux fois. La complexité est de connaître la limite du supportable et de l’insupportable. Henry Miller dans “Un diable au paradis” nous conte un peu la même chose : un visiteur se présente à lui et il n’arrive pas à s’en détacher. On a presque envie de lui souffler de le noyer ! Pourtant, nous arrivons à développer une certaine empathie pour ce personnage. 

Il est vrai que l’on se demande presque ce qui retient Pierre, plutôt franc et rustre, de mettre une bonne fois pour toute Vincent, parasite en quête de nature, à la porte. 

Eric Besnard : Car ils ont chacun leur raison de ne pas mettre fin à ce début d’amitié. Chaque personnage, au début du film, se ment. Les révélations structurent d’ailleurs l’intrigue du film : on en apprend un peu plus sur la vie des personnages, leurs raisons, leurs culpabilités. Et j’ose espérer qu’il y a aussi des moments, dans la vie, où on sent que l’on peut faire tomber l’armure. Que si l’on fait tomber le masque social et que l’on redevient soi, il peut se passer de belles choses… 

Il y a la rencontre de deux personnages, que l’on voit à l’écran, mais aussi la rencontre de deux hommes, comédiens en l’occurrence, qui se découvrent et s’enferment dans un tournage de plusieurs mois, en pleine nature, qui ajoute au projet du film un véritable challenge humain. 

Grégory Gadebois : J’étais content que ce soit Lambert qui joue ce rôle. Je n’imaginais personne d’autre. 

Lambert Wilson : Ce film raconte aussi le désir d’amitié. Le titre original était d’ailleurs “Un grand ami”. Et nous avions une telle sympathie l’un pour l’autre, en dehors des caméras, que je crois que cela se retranscrit à l’écran. C’est une sensation qui m’arrive assez peu, d’être entièrement à l’aise à l’idée de jouer avec quelqu’un. Un lien très fort s’est construit avec Gregory, en tout cas de mon côté, grâce à ce film. 

Eric Besnard : Le sujet de ce film est assez simple, et pourtant il est rare de voir à l’écran la naissance d’une amitié. Souvent, il y a une rencontre, comme récemment dans Alceste à Bicyclette, de Philippe Le Guay, ou encore Dialogue avec mon jardinier, de Jean Becker. Il y a peut être My Dinner with André, de Louis Malle, mais qui se passe dans un bistrot, un lieu cloisonné. 

On peut avoir des films sur l’amitié, des “buddy movie”, mais qui parlent d’amitié déjà construites, de gens qui se connaissent depuis 20, 30 ans, 40 ans. Ici, on plutôt une structure scénaristique de comédie romantique. À la manière du film Le Sauvage, de Rappeneau. Les différentes étapes du film sont celles d’un début d’histoire d’amour. 

Lambert Wilson : Je serais donc Catherine Deneuve ? [Rires]

Grégory Gadebois : Et je sens que le sauvage c’est encore moi… [Rires]

Eric Besnard : Pour revenir à la question initiale sur la documentation pour le scénario, je pense aussi que j’étais alimenté par la presse et les informations que je consomme, au quotidien, qui nous poussent à avoir peur de l’autre. On s’autorise de moins en moins à la rencontre. L’art de la conversation, de l’échange spontané. Et nous venons pourtant d’une société des Lumières ou la spontanéité et l’autre étaient beaucoup plus présents. 

Dans tous les cas, passer du temps avec une seule et même personne permet de créer quelque chose de singulier. La contrainte, l’exercice imposé, génèrent quelque chose – du moins pour ce film – d’assez heureux.

“Les Choses Simples” sortira en salles le 22 février 2023

Bande annonce du film : https://www.youtube.com/watch?v=yBdxN_dN6F0 

Merci au réalisateur Eric Besnard et aux deux comédiens Lambert Wilson et Grégory Gadebois pour cette interview ainsi qu’à Pathé Lyon pour l’organisation de cette rencontre.

Interview : © Pour le dire
Photographies extraits du film : © SND