Rencontre avec Alain Choquart à l’Institut Lumière 

Dans le cadre du lancement de la Librairie du 1er film, l’Institut Lumière souhaite donner la parole à des auteurs et autrices pour nous parler de leur roman. Amis de la Maison ou nouveaux visages venus titiller notre curiosité de lecteurs, l’Institut propose des rencontres pour partager leur passion et revenir sur leur process d’écriture. Alain Choquart, scénariste, directeur de la photographie et compagnon de route cinématographique de Bertrand Tavernier, publie aujourd’hui son premier roman : Cette terre que je croyais mienne. Un roman noir, sur la ruralité, autour du retour dans sa campagne natale qu’il a quitté pour la ville. Rapidement, des événements sombres vont se produire. 

Interview menée par Denis Revirand, Responsable de la promotion et de la presse à l’Institut Lumière

Denis Revirand : pourquoi avez-vous eu envie d’écrire ce roman, quel a été ton  cheminement dans l’écriture et pourquoi choisir le noir comme genre littéraire ?

Alain Choquart : Je suis un grand lecteur depuis l’adolescence. Étant originaire d’un milieu rural, j’ai été élevé avec l’idée de rester “à sa place”, d’aborder les choses avec une posture d’humilité. J’ai donc suivi un parcours classique d’études de cinéma en montant à Paris et ai testé ma plume avec les scénarios. L’écriture scénaristique a été un bon exercice avant l’écriture littéraire. Dans ce roman, j’avais envie de parler de sortir de Paris et de retourner en région rurale, dans le Drôme, pour raconter des histoires atypiques. Le genre noir – que je préfère à polar – m’intéresse tout particulièrement car je suis fasciné par ce moment de bascule, qui pousse un Homme vers l’irrationnel.


Avant ce roman, vous avez eu une carrière de scénariste, cadreur, et même photographe avec des grands noms du cinéma français. Et tout particulièrement Bertrand Tavernier, avec qui vous ferez 10 films. Pouvez-vous nous raconter vos débuts ?

J’ai été diplômé de l’Ecole Louis Lumière, à Paris, à l’âge de 19 ans. À cette époque, tous les cinémas étaient gratuits pour les étudiants de cette institution. Je voyais en moyenne deux films par jour en semaine, et les week-ends, impossible de compter. J’ai rapidement rencontré l’équipe de Pierre-William Glenn, qui était directeur de la photographie de nombreux cinéastes de l’époque. J’étais un peu timide à l’époque, après avoir grandi en campagne je découvrais le tout-Paris. J’étais sur un plateau pour voir le travail avec les caméras et j’ai pu donner un coup de main. On m’a ensuite proposé d’assister à mon premier tournage, le temps d’une semaine, où j’étais assistant cadreur sur Une semaine de vacances de Bertrand Tavernier (1980). J’ai ensuite enchaîné trois tournages : Allons z’enfants d’Yves Boisset, Le Choix des armes d’Alain Corneau puis Coup de torchon, à nouveau de Bertrand Tavernier. Tous les trois sortis la même année, en 1981. 

Philippe Noiret et Isabelle Huppert dans Coup de torchon de Bertrand Tavernier © Films A2

À quel moment avez-vous été plus qu’un assistant mais un véritable compagnon de route de Bertrand Tavernier ? 

L’ambiance sur les plateaux de tournage a rapidement été conviviale. Selon les endroits où l’on tournait, on avait du temps pour parler, raconter un peu plus de nous. Bertrand m’a ensuite donné le rôle de directeur de la photographie pour La vie et rien d’autre (1989). Il travaillait avec son équipe de film avec une vraie envie de collaboration. Il me demandait d’être à l’intérieur de l’image. Je n’avais pas de rôle de personnages mais j’avais la caméra et la lumière pour créer des propositions. Dans tous les cas, il nous faisait confiance. Il fallait toutefois toujours garder sa place et rester humble. 

“Bertrand Tavernier donnait à ses collaborateurs une grande place sur la tournage, ce qui nous donnait d’autant plus envie de l’épater et de s’investir” – Alain Choquart 

L’écriture commence à quel moment ?

J’ai commencé l’écriture scénaristique pour le film L’Appât (1995). J’étais encore une fois assez libre dans le processus mais toujours encadré par Bertrand Tavernier. J’écrivais les scènes en me mettant à la place du spectateur : si on lui inflige deux scènes d’affilée où les gens sont assis et dînent, cela risque fort d’être ennuyant. Je pratiquais donc aussi en lien avec les scènes qui étaient tournées le jour, et me remettait à l’écriture le soir et tôt le lendemain matin pour continuer l’histoire. J’étais nourri le jour et produisait la nuit et au petit jour. 

Votre premier roman, Cette Terre que je croyais mienne, est un roman de la ruralité. Pourquoi ce décor ?

J’ai fait toute ma primaire dans La Sarthe. Ma mère m’emmenait le mercredi à la ferme et j’y passais toute la journée. Mon adolescence s’est déroulée à Aulnay-Sous-Bois, avant d’arriver à la capitale. Il y a un peu plus de 15 ans, j’ai décidé de retourner dans la Drôme car j’avais envie d’amener le cinéma plus proche de la campagne. J’ai revu des amis proches, et cela m’a donné envie d’écrire autour des personnalités dans un décor rural. Sûrement, aussi, pour livrer une autre image que la caricature du bonhomme sur son tracteur avec un mégot de cigarette à la bouche, que les habitants des grandes villes peuvent s’en faire. J’avais envie de parler d’une ruralité en souffrance mais avec des hommes et des femmes qui se tiennent debout, malgré les difficultés. Le noir, la fiction, m’apparaissait comme un vecteur intéressant pour montrer le début de la bascule vers quelque chose de plus noir. 

“Durant l’écriture du roman, je lâchais un personnage sans savoir où il allait nous mener” – Alain Choquart 

Vous dessinez des personnages qui nous apparaissent comme étant ni bons, ni mauvais. Ils sont parfois perdus, ou ont perdu quelque chose, et c’est ce point de bascule qui va les orienter vers d’autres desseins. 

Je n’avais pas envie de les condamner et souhaitais que chaque personnage soit attachant à sa manière. Non pas pour qu’on l’excuse, ni pour qu’on le comprenne, mais qu’on sache pourquoi il en est arrivé là. C’est ce qui a été la vraie différence, pour moi, entre l’écriture scénaristique et l’écriture de roman : souvent, on est plus manichéen dans un scénario, on sait où on va et où on veut amener les personnages car leurs parcours répondent à une mécanique très structurée. Or dans le roman, quand on commence à écrire, on ne sait pas si le roman tiendra sur 200, 300, 500 pages. On lâche les personnages sans savoir où ils vont aller. Et j’étais parfois moi-même surpris de la trajectoire de certains personnages. 

Vous organisez un festival autour de la littérature et du cinéma : De l’écrit à l’écran, Pouvez-vous nous en parler ?

J’ai voulu organiser ce festival tout d’abord pour faire venir la culture dans la ruralité, suite à mon retour dans le Drôme. La première édition s’est d’ailleurs montée avec Bertrand Tavernier comme parrain. La seconde raison est que je souhaitais m’adresser à un public jeune, de scolaires, pour leur montrer la diversité et la richesse du cinéma. En allant chercher mon fils à l’école, j’entendais des propos de la bouche des enfants assez terribles, des insultes xénophobes, homophobes, puis je me suis rendu compte que le FN faisait 30% dans ma région. La culture ne résout pas tout mais est un rempart à la connerie. Je trouvais donc bien de montrer à ces gamins que les jeunes américains, les jeunes maghrébins, ont finalement les mêmes problématiques qu’eux à leur âge et se ressemblent plus qu’ils ne pensent. Ça ne peut pas tout changer, mais c’est une raison motivante de continuer à faire vivre ce festival. 

“Cette terre que je croyais mienne”, premier roman d’Alain Choquart 
Interview organisée par l’Institut Lumière et animée par Denis Revirand.
Propos retranscrits par Pour le dire
Photographies de Pour le dire