Socratès – Gagner ou perdre mais toujours en démocratie

Que gagne-t-on à perdre ?” Cette question philosophique interroge profondément le joueur de football brésilien Socratès. En 1982, il perd un match décisif de la Coupe du Monde. Que lui reste-t-il, alors ? L’amertume de sa défaite ou la jouissance d’avoir traversé, avec ses coéquipiers, les affres impétueuses de la quête vers la victoire ? Qu’aura-t-il laissé, derrière lui ?
Au cours d’une soirée animée par l’alcool, il débat avec Socrate. Quand nous perdons, est-ce vraiment la fin de quelque chose ? Ou la commencement d’une autre ?

Un débat entre corps et esprit 

Sur scène, ce sont donc deux comédiens qui tour à tour se passent la balle pour se sonder mutuellement. Socratès a connu la dictature brésilienne, aurait pu devenir un grand médecin, un grand athlète, aussi. Et c’est à travers la mémoire et les fantômes de tous ceux qu’il aurait pu incarner que nous entrons dans cette pièce menée par l’écriture et la mise en scène de Frédéric Sonntag.

Entre questions rhétoriques, propres au récit philosophique, et biographie du joueur, d’un père intellectuel à une carrière émérite, ce seul-mais-à-deux en scène pousse les frontières du décor de théâtre. Il invite chacun de nous à l’autoanalyse, à voir la beauté quand tout s’effondre, à ouvrir la discussion même quand la route paraît claire et les avis décidés, à porter toujours le point d’interrogation comme un combat à chaque décision. Et si ? 

Matthieu Marie (Socratès) et Marc Berman (Socrate) © AsaNisiMasa / Frederic Sonntag

Une mise en scène de vie quotidienne

Frédéric Sonntag propose dans cette pièce un décor d’extérieur, de cour avec du linge qui sèche en fond de scène, des caisses de bouteilles de bières qui s’étalent jusqu’au pendrillon, et la table à manger devient la Cène où les discussions s’entremèlent. Sommes-nous face à un Socratès fou, ivre de ses bières tombées en quelques minutes, et de tous ces personnages qu’il aura su incarner entre ses vies professionnelle, privée et politique ? Ou assistons-nous à l’éveil d’un Homme sage, éclairé, ouvrant avec humilité le livre de sa vie ? La prononciation est flottante, donnant l’impression d’une discussion volée, desservant parfois notre totale compréhension des sujets abordés. Le metteur en scène et dramaturge ne s’encombre pas d’une fresque linéaire de la politique et de la société des pays évoqués (de l’enfance au Brésil, à sa carrière en Espagne, Italie, France…), pour accentuer l’idée que cette joute verbale entre Socratès et Socrate n’a pas de marqueur spatio-temporel. L’essentiel se trouve dans le dialogue et ce qui compte, profondément, est que chacun y trouve sa place. Dès lors, la démocratie et le débat se répandaient des vestiaires au terrain, et du terrain à la vie de chacun.

Gagner ou perdre, mais toujours en démocratie

Frédéric Sonntag signe un récit et une mise en scène intéressantes pour tous les sujets qu’elle aborde et pour la naturalité du jeu auquel nous sommes confrontés. Peut-être aurait-il fallu plus de contexte sur certaines actualités, servant de décors au discours plus que d’exposés. La diction est fluide mais parfois ambiguë; nous ne sommes pas toujours certains de tout entendre, de tout comprendre. Nos yeux se posent alors sur cette scène de vie que nous avons parfois déjà vécu : un moment de pleine conscience, où le recueillement, les souvenirs et la mélancolie s’ouvrent à nous sans prévenir. L’alcool pour désinhiber ou annihiler nos mémoires prend ici toute sa place. Notamment lorsque l’on sait qu’il sera l’objet de la fin du joueur, à 57 ans. 

Illustration : © FRANECK

Photographies : © AsaNIsiMAsa

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