Capharnaüm de Nadine Labaki, grand Prix du Jury

Zain est un enfant des bidonvilles au Liban. Habitué aux petits boulots qui aident à subvenir aux besoins de ses parents, il ère dans les ruelles de sa ville et revisite son quartier par un regard impérieux d’adulte. Débutant sur son procès, le film retourne sur les faits qui ont conduit Zain à son jugement. Profitant des caméras et des regards accusateurs braqués sur lui, il déclare alors qu’il souhaite porter plainte contre ses parents de l’avoir mis au monde.

Capharnaüm explore les bidonvilles à travers le regard des enfants essentiellement, qui ont une fonctionne presque sacrée. Face à ces éléments purs dans un décors déconstruit, les adultes semblent être jugés à travers leur regard innocent. La scène de la mère de Zain donnant sa fille offre une scène aussi bouleversante que bien construite, dans le profond dégoût dont fait preuve Zain et le regard en hauteur d’un bébé sur cette femme usée et profondément détestable. Le rapport à la maternité et à la misère offre un parallèle avec la vie de Tigest, jeune éthiopienne sans papier qui croise la route de Zain. Cachant son enfant pour ne pas se le faire enlever, Tigest va recueillir Zain et l’élever comme son fils.
Capharnaüm nous offre des scènes en hauteur, dont la caméra survole parfois les paysages infinis des bidonvilles, aérant ce discours qui se voudrait misérabiliste. Car malgré cette peine et ces impasses, il y a des moments précieux d’humanité. Zain dénonce, par une maturité et une intelligence à la fois terribles et prodigieuses, les travers de son environnement, pâtissant d’un fort taux de naissance et d’adultes pervertis par l’argent facile. C’est dans cette misère que grandissent les personnages et que certains regards sur des actions peuvent se nuancer, notamment dans notre jugement à nous, spectateur, face à certains actes. Les dernières minutes poignantes du film laissent alors planer le doute sur le jugement manichéen que nous aurions tous tendance à faire. Quand certains actes ne peuvent être excusés, ils peuvent toutefois être expliqués. Nadine Labaki filme ainsi la mère de Zain dans sa plus belle performance du film, crachant au tribunal sa sinistre résistance dans sa condition de réfugiée et de mère. S’en suivant par une spirale d’émotions, le long-métrage nous saisit le cœur jusqu’aux dernières secondes.
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Capharnaüm s’est vu remettre ce samedi 19 mai le Prix du Jury du Festival de Cannes, présidé par Cate Blanchett. Une récompense méritée pour un film perçant plus que jamais la sélection officielle du Festival. 
Film visionné durant le Festival de Cannes, du 08 mai au 19 mai 2018
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