Welfare de Julie Deliquet au théâtre des Célestins

Welfare, la nouvelle pièce de la metteuse en scène Julie Deliquet, créée au cours de l’été 2023, s’inspire du documentaire coup de poing de Frederick Wiseman sur le quotidien d’un centre d’aide sociale new-yorkais dans les années 70. Julie Deliquet aime choisir des œuvres où les dialogues fusent, les personnages montent en pression, les rivalités s’éclairent ou se détruisent, au profit de la réconciliation. Ce fut le cas, entre autres pièces, pour Un conte de Noël d’Arnaud Desplechin où je découvrais par ailleurs un jeune comédien prometteur, Thomas Rortais. Dans cette création hybride entre deux genres, Julie Deliquet rend hommage à toute une partie de la population invisibilisée et dans une lutte constante.

La lenteur comme personnage du système 

Il est difficile de critiquer la lenteur. Car dans la lenteur, il y a nécessairement un message. Approcher l’ennui, percevoir les failles d’un système, atteindre avec les personnages que l’on suit le même niveau d’impatience, de frustration. En 2h30, on éprouve le mécanisme rouillé d’un système où la théorie et l’administratif priment sur les destins de vrais gens. On est alors en totale empathie, comme la 16e personne du centre d’accueil. On les regarde, les écoute, les considère. On les juge, parfois, car nous sommes aussi humains. Mais au moins, on les comprend.

Julie Deliquet arrive à créer le même empressement que dans le film-documentaire de Frederick Wiseman. Le réalisateur a dit à propos de ses projets : “En tant que documentariste, j’essaye de trouver le comique de la vie. C’est un aspect de la vie quotidienne, tout comme le tragique !” . Julie Deliquet ne transgresse donc pas la pensée du réalisateur en produisant une pièce où la tragédie des aidés et des aidants se rejoignent dans le comique de certaines situations. Certains sont oubliés, d’autres radiés avant l’heure, d’autres ne figurent même pas dans les dossiers. Alors à nous de choisir s’il faut en rire ou en pleurer. 

Une société à échelle microscopique 

Dans cette pièce de théâtre, tout un monde défile, aux envies contrariées ou convergentes. On perçoit ainsi la détresse des aidés, des aidants, et la solidarité, aussi. Certains suivent le courant administratif quand d’autres mettent le soin du prochain avant le reste.

Cette aventure théâtrale est avant tout une expérience collective. Par son sujet, et par la composition de la troupe avec 15 comédiens sur le plateau. Chacun a sa place et réussit à émouvoir, faire rire, indigner le spectateur. Cette loupe sur la condition humaine, ses déboires et ses instants de grâce suspendus, nous donnent matière à réflexion tout du long de ces 2h30. 

Bien sûr, l’argent fait loi comme souvent dans notre quotidien. “Tout le monde est un maître pour celui qui est fauché” scandera un aidé. Malgré leur servitude commune aux aides sociales, Welfare réussit à montrer la diversité des profils d’un centre d’assistance publique.

Cinquante ans après la sortie de ce documentaire, Julie Deliquet redonne vie à ce projet sur les planches avec un grand succès au Festival d’Avignon 2023. Les thématiques sont toujours actuelles et les combats menés pour retrouver la dignité par l’aide publique sont encore brûlants dans les médias. À voir ! 


Photographies : © Pascal Victor
Critique : © Pour le dire