All of us strangers de Andrew Haigh 

Adam (Andrew Scott) mène une vie d’écrivain solitaire dans une tour londonienne partiellement faite de bureaux. Seuls quelques appartements ont le luxe d’avoir une vue panoramique sur cette ville enivrante. Un soir, quelqu’un sonne à sa porte. Son voisin, Harry (Paul Mescal), quelque peu éméché, demande un peu de compagnie. Quelqu’un à qui parler. Deux solitaires se croisent alors, dans leur empêchement, dans leur marginalité, et dans leur irrépressible envie d’aimer et d’être aimés.

L’Homme est un étranger pour l’Homme

Adam écrit sur sa famille et, au fur et à mesure qu’avance son échappée littéraire, les lignes et les souvenirs prennent vie. Adam retrouve ses parents, avant le terrible drame qui leur a coûté la vie à tous les deux. Il a 40 ans mais ses parents lui parlent à nouveau. Ils n’ont pas changé. Ils vivent toujours dans cette petite maison pavillonnaire, à plusieurs kilomètres de Londres. En revisitant la maison, il revisite ses souvenirs : ses photos, ses carnets crayonnés, tout se réanime. Il est cet enfant à nouveau mais peut s’exprimer comme un adulte. 

Andrew Haigh aborde la notion de secret et de fragilité. On ne sait jamais vraiment ce qu’il se passe dans la tête des êtres autour de nous. Comment le deviner, quand certaines pudeurs nous contiennent ? Comment trouver les mots dans les yeux de ceux que l’on aime ? Le premier empêchement d’Adam semble sa difficulté à exprimer qui il est, réellement. Il aime les hommes, mais n’a jamais pu l’exprimer du haut de ses 12 ans. Aujourd’hui, il peut le faire. C’est même son métier, d’écrire, de trouver les mots justes. Saura-t-il ouvrir un peu plus la porte de son âme ?

Certaines scènes nous font alors penser à Lost in Translation de Sofia Coppola, comme Adam qui contemple la vue de Londres tout comme Charlotte contemple celle de Tokyo. L’immensité des bâtiments et la distance avec la foule renvoient à leur profonde solitude.

All of us strangers, l’intimité sans frontière 

Le cinéaste nous plonge dans un décor empreint d’intime, où tout semble à la fois fugace et suspendu. Adam revoit sa mère (Claire Foy) et son père (Jamie Bell) alors que son âge semble avoir dépassé le leur, morts dans leur trentaine. Pourtant, la dynamique de parents et enfant reste inchangée. Par des regards, des gestes emplis d’amour et de compassion, par des dialogues aux attentions discrètes, nous sommes aussi dans cette maison où le bonheur semble régner en maître. Claire Foy est d’une justesse inflexible dans ce rôle de mère aimante qui ne comprend pas tout de son fils mais l’aime inconditionnellement. De même pour Jamie Bell, qui incarne le père, donc le regard tendre et la posture presque désuète reflète bien la posture d’un père dans les années 90 : les discussions sont brèves mais la complicité, pétillante de sincérité. 

Dans la forme, aussi, le réalisateur va au plus près des corps, des visages, souvent à la lueur d’une lumière chaude comme une bougie ou un éclairage tamisé. La nuit, dans son éclairage discret, est le refuge de l’intime. On peut alors se confier, délier les langues, se mettre un peu plus à nu. Le parallèle entre le deuil d’Adam et son début de relation avec Harry nous confronte donc à la difficulté de se libérer. À mesure qu’il ferme, doucement, la porte de sa maison d’enfant et de tous les souvenirs qu’elle contient, Adam semble prêt à ouvrir la porte d’une histoire d’amour. Cet amour sera-t-il écrit dans ses rêves ou dans la réalité ? À vous d’en juger. 

Photographies : © Blueprint Pictures – Film4 – Walt Disney
© Pour le dire