Poor things de Yórgos Lánthimos

Poor Things, son titre original, et Pauvres Créatures en français, est l’un des films les plus attendus qui ouvrent l’année 2024. D’abord, pour son réalisateur Yórgos Lánthimos qui nous avait marqué par The Lobster puis conquis avec La Favorite. Aussi, pour la singularité de ses images découvertes durant l’année 2023, après avoir fait sensation à la Mostra de Venise : les costumes baroques, les décors futuristes, la longue chevelure de soie noire d’Emma Stone, les cicatrices Frankenstein-esque de Willem Dafoe… De quoi, avant même d’en connaître la trajectoire, se préparer à un voyage hors du commun.

Gratter le surréalisme pour atteindre la poésie

Comme dans The Lobster, Yórgos Lánthimos explore sa fascination pour les personnages abîmés, marginaux, créant un malaise chez son spectateur aux premières minutes de film. Les mains se rigidifient, on espère intimement ne pas être tombé sur une œuvre élitiste, trop perchée pour être approchée au premier degré mais qui se veut très sérieuse. Passé ce moment d’incertitudes à l’ouverture du film, on lâche ensuite la barre pour plonger dans la vision du cinéaste. Le film devient alors une aventure captivante, une expérience artistique où le réalisateur joue avec des effets de tableaux, mélangeant impressionnisme et postimpressionnisme avec des inspirations de Monet, Van Gogh et Munch.

Dans cet empilement de genres, de situations incongrues, de discours hauts perchés, on lâche petit à petit les rênes de l’analytique et du conscient pour suivre la poésie du cinéaste. Et en devenant nous-même le pantin du Créateur, nous découvrons avec la même naïveté que Bella ce monde empreint de beauté, de cruauté et de mystères.

Une épopée où la marginalité est la plus humaine

L’aventure se déploie réellement quand Bella Baxter, jouée par l’épatante Emma Stone, rencontre Duncan Wedderburn, interprété par Mark Ruffalo. Il semble lui aussi habité par une certaine folie, mais ce n’est pas tout à fait celle de Bella. Sa très haute estime de lui-même le pousse à croire que tout est possible, que l’argent et l’aplomb règnent en maîtres dans la société.

Comme tout voyage est un rite d’apprentissage, Bella apprend. On pense au film Une Education de Lone Scherfig, car Bella sort de cette vie toute tracée et lève enfin le voile sur le monde, ses vices, ses défauts, cachés par les parents. Elle développe son propre sens critique, accompagnée par la littérature, les discussions animées avec des inconnus et des épreuves formatrices.

Dans cette traversée, Bella séduit son auditoire par sa candeur solaire et sa faculté à ne pas se soucier du regard de l’autre. Sa grande liberté devient sa force, et peu restent indifférents à sa rencontre. Amis, amants, passants, c’est comme un souffle d’air pur que de rencontrer l’incarnation vivante du libre-arbitre. Et cette dans cette quête humaine et spirituelle que Bella va se trouver. Pour enfin retrouver ceux qui la comprenne vraiment. À voir.


Photographies : © Searchlight Pictures 2023
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