Écrire sa vie de Pauline Bayle d’après l’œuvre de Virginia Woolf

Après Illusions Perdues, sur le texte original de Balzac, Pauline Bayle s’attaque à une autre grande figure de la littérature : Virginia Woolf. Connue pour ses récits introspectifs, mêlant poésie et contemplation d’un monde où mélancolie et nostalgie s’entrecroisent, l’autrice devient la muse de la metteuse en scène, accouchant d’une œuvre complexe. Critique.  

Un décor cinématographique où le désordre fait rage

Sur scène, une table centrale disposée comme un banquet Romain, où les couverts, les raisins et les fleurs séchées créent une atmosphère intemporelle. C’est le lieu de réunion de nos six amis : Céleste, Judith, David, Tristan, George et Nora. Mais très vite, cette cène devient la scène de nombreux conflits. D’abord, la trahison d’un être attendu qui ne viendra pas. Puis les tremblements d’un monde qui laisse envisager des heures sombres à nous autres citoyens. L’innocence d’une amitié bâtit sur plusieurs années s’ébranle alors. Que restera-t-il de leur amitié, après cette soirée ? 

Ecrire sa vie : une ambition à la hauteur des oeuvres de Virginia Woolf

Réel défi, donc, que d’arriver à retranscrire l’immensité des œuvres de Virginia Woolf en un seul spectacle. Sur la base de l’œuvre Les Vagues (1921), on rencontre six amis venus fêter ensemble les 30 ans d’un d’entre eux et le retour d’un absent de longue date : Jacob. Autant de choses à fêter que de sourires à exhiber, de bons sentiments à se tendre, de conversations à nourrir. Mais l’arrivée de Jacob tarde. Très vite, la tonalité du spectacle devient “En attendant Jacob”, en référence à Godot, figure que les personnages de la pièce éponyme citent sans cesse et qui ne viendra pas. Qu’annonce donc cette absence ? Jacob est-il seulement réel, ou est-il le fruit d’une imagination créée à six cerveaux ? Est-il le lien qui les unit ? Son absence est-elle la cause de ce brouillard grandissant autour de nos six amis ? 

Comme pour corrompre le présent, les convives plongent ensemble dans leurs souvenirs communs. Les aventures dans les hautes herbes, enfants, les rentrées en primaire. Puis les premières désillusions : la jalousie de voir l’un embrasser l’autre, les écarts qui se creusent selon ses aspirations. L’un qui travaille jusqu’à s’épuiser, l’autre qui part découvrir les plus lointaines contrées. 

Si les comédiens et comédiennes Hélène Chevallier, Guillaume Compiano, Viktoria Kozlova, Loïc Renard, Jenna Thiam, Charlotte Van Bervesselès empoignent leur rôle avec une grande ferveur, le spectateur, lui reste en dehors de ce tourbillon de souvenirs. Des vers sont lâchés à qui veut bien les saisir, sans couture ni connexions, si bien qu’il nous devient difficile de percevoir le chemin du récit. Nous entendons des rimes, percevons des émois, sans jamais les atteindre. La distance s’enlise, jusqu’à créer ce que vivent précisément les personnages : de la désillusion.

L’après-monde

Les relations et les intentions de chaque personnage restent fugaces, les échanges lunaires dans un contemporain presque trop terre à terre pour eux. Nous nous accrochons alors à ce qu’il reste ;  et donc à la forme plutôt qu’au fond. Ainsi prospère le décor quasi biblique de cette table en feu et la musique envoûtante de Julien Lemonnier. 

Que restera-t-il, en conclusion, de cette intimité presque trop décriée ? Une scénographie, une musicalité. Et sans doute une réflexion sur la place de l’introspection au théâtre : faut-il avoir le moyen d’embarquer chaque spectateur dans les cerveaux encombrés de chacun des personnages sur scène. 


© Pour le dire
Photographies © Christophe Raynaud de Lage