Le Jeu de la Reine de Karim Aïnouz

La période historique des Tudors, étendue entre la fin du XVe siècle et le début du XVIIe siècle, a fasciné de nombreux auteurs et autrices. C’est au tour du réalisateur brésilien Karim Aïnouz de s’emparer de cette période par le prisme de la relation entre Henri VIII (Jude Law) et sa sixième épouse Catherine Parr (Alicia Vikander). 

Le jeu de la Cour 

Karim Aïnouz choisit une période très spécifique de l’Histoire d’Angleterre : la fin du règne d’Henri XVIII. On découvre un homme vieillissant, amère, déchu. De sa vie, nous en découvrons surtout les traits d’un homme sanguinaire, violent, qui a congédié ou fait décapiter ses épouses, parfois au bout de quelques mois de règne seulement.
Au centre de cette intrigue : Catherine Parr, dont Henri XVIII est le troisième époux. Dès le plus jeune âge, et de par son statut, Catherine Parr a donc appris à jouer avec les codes, les sous-textes, les amitiés et les inimitiés travesties en sourires coincés. Quand elle arrive aux bras d’Henri XVIII, il est désormais loin d’être le jeune roi sportif qui a fait sa belle réputation dès son règne à l’âge de 17 ans. Il est hostile, instable, et n’attribue pas sa confiance aisément. Encore moins son amour.

La vie est une scène et la Cour Royale est assurément une pièce de théâtre. Les mouvements de chaque protagoniste sont scrutés, les discussions reprises, amplifiées ou tues. Femme lettrée et sensible aux enjeux politiques et sociétaux qui se trament dans son pays, Catherine Parr use de patience et d’intelligence pour dompter ce Roi caractériel et affirmer sa place dans la Cour.

Le réalisateur dessine le portrait d’une femme résolument féministe, qui use de patience et d’intelligence pour s’affirmer dans une Cour où les intentions de chacun.e sont troubles. Sa résistance silencieuse et la considération qu’elle porte en chacune des femmes qui l’entoure, des servantes aux filles des Reines déchues, lui confèrent une aura singulière. La place et la condition de la femme de cette époque, mêlées aux tensions historiques entre la Royauté, l’Église et le peuple, est symbolisée par une tension latente tout au long du film. Nous avons une sensation de guerre à chaque tournant, et l’odeur du sang se mêle à l’odeur putride ressentie jusqu’à nos sièges de spectateurs.

Le réalisateur accorde un soin particulier aux détails, aux cadres, aux costumes. Certaines scènes sont comparables à de véritables œuvres de la Renaissance, où les traits d’Alicia Vikander se fondent parfaitement dans le cadre feutré de son environnement. Cette composition méticuleuse donne de la profondeur au film, qui se découvre sur plusieurs couches. Et au cœur de l’intrigue : le couple.

L’intimité d’une relation royale

L’épicentre du Jeu de la Reine est donc avant tout la relation entre Catherine et Henri XVIII. Le cinéaste filme les us et coutumes d’une union sur plusieurs années, les regards, la complicité malgré la tension. Nous allons au plus près de leur intimité – tant dans le cadre que dans la psychologie des personnages – là où les regards de la Cour ne peuvent pénétrer. Jude Law et Alicia Vikander sont saisissants de justesse. Jude Law est méconnaissable en ogre royal en fin de règne, empoté par sa jambe purulente et par l’aune de sa mort. Alicia Vikander, en grande Catherine Paar, nous offre une leçon de comédie par un jeu humblement maîtrisé, où les regards communiquent bien plus que les mots. La direction d’acteurs est au plus proche de l’émotion, tue et retenue, où chaque sourire laisse entrevoir une larme ou une ride de colère. 

Karim Anouz filme l’homme et la femme avant le Roi et la Reine. Il exprime dans une interview donnée à Pass Culture : “Il s’agit de montrer un couple qui se dégrade, pour des raisons encore très présentes dans notre monde actuel. C’est stimulant de pouvoir dépeindre cette relation, par le biais du cinéma, avec un point de vue contemporain.”

Une œuvre intime, bouleversante et méticuleuse. À découvrir en salles de cinéma au mois d’avril 2024. 


Photographies : © Brouhaha Entertainment 2023
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