Songs au Théâtre de la Croix-rousse

Il y a d’abord cette jeune femme, Sylvia, dont l’innocence et la fragilité nous touchent viscéralement. Il y a ensuite cette autre femme, Viviane, détonante et abordable. Puis, cette complicité, immédiate. L’une est brune, l’autre est rousse. L’une est la grande sœur, l’autre la petite. L’une est en tenue de mariage, l’autre en tenue de mariée.

Le mariage, ce plus beau jour de notre vie ?

Sylvia, vêtue d’une robe du plus beau jour, celui qui l’extirperait d’une cumulation infructueuse d’amours éphémères, celui qu’elle imaginait, qu’elle espérait ; décide qu’il est temps. Temps d’en finir. Ce plus beau jour sera son dernier. Alors, nous remontons dans son passé, ou plus précisément dans sa mémoire : dans tout ce qui a compté pour Sylvia. Et c’est Viviane qui mène la danse. Pas de logique à tout cela : nous sommes bel et bien dans l’esprit de la mariée. Un imaginaire meublé de souvenirs, gelés et allègrement disposés. Une pièce unique, où joue l’orchestre de son cœur. Un orchestre mélancolique, à la mesure de la gravité de la situation. Viviane, tenancière des lieux, cherche alors à comprendre. Elle est dans la tête de sa sœur, elle dispose de toutes les informations mais n’arrive toujours pas à la comprendre. Tout se compliquera quand la propriétaire des lieux, Sylvia, arrivera à pénétrer l’intérieur de son esprit pour y trouver, elle aussi, des réponses.

Une mise en scène douce et contemporaine

Samuel Achache signe une pièce délicate et osée, dans laquelle le jeu des deux actrices se mêle à la voix singulière, ventrale, de Lucile Richardot. Les comédiennes dansent dans un esprit malmené dès l’enfance, où tout semble tenir sur le fil de la vie. Ce même fil brisé par Eurydice, célèbre mariée perdant la vie le jour de ses noces avec Orphée. Dans cette machine étrange, comme pour évoquer les Enfers dans lesquels Orphée plongera récupérer sa bien-aimée, s’actionnent les bribes de la mémoire de Sylvia. La mise en scène, ingénieuse, voile le décors d’un drap blanc, comme un double fond, entre le conscient et l’inconscient, le rêve et la réalité. Cette trappe est une métaphore poétique de tout ce que notre mémoire a refoulé. Tout ce que l’on a cherché à garder et qui peut resurgir. Pour Sylvia, cette boite a explosé.
Malgré le drame du discours et son rapprochement avec le conte d’Orphée et Eurydice, Songs est une pièce éminemment comique. Le jeu des actrices emporte son public par des dialogues spontanés, brisant les codes rigides des discours théâtraux. Égayements, mots bafouillés, paroles coupées, sourires improvisés. Une complicité déborde du plateau et nous atteint, public, parfois caché et parfois éclairé. Le silence de l’orchestre, composé de huit membres, donne à la pièce une légèreté amusante, par cette nonchalance et ce mutisme d’enfants perdus. Un opéra comique se hisse devant nos yeux, emplis d’éléments métaphoriques et d’une poésie fine. Cette collaboration artistique entre voix, instruments et jeu, signe une pièce intemporelle, dont il fait bon de se plonger. Comme dans un rêve. Comme dans ses pensées. Joli voyage.


Songs, théâtre musical au Théâtre de la croix rousse, Place Joannes Ambre, 69004 Lyon
Octobre 2018
© Pour le dire