L’absence de Guerre : entre plans de cinéma et théâtre moderne

En pleine campagne électorale en Angleterre, le parti travailliste mené par le charismatique Georges Jones est en bonne voie vers la réussite. Souffrant d’une image d’homme nerveux et colérique, ses collaborateurs font appel à Lindsay Fontaine, une jeune femme brillante sachant gérer l’image et la communication de toute entreprise. Car oui, c’est bien d’une entreprise qu’il s’agit : chacun a un rôle bien spécifique pour faire tourner les rouages de la machine.Cet entre-deux-tours prend donc l’aspect d’une entre-deux guerre. La tension est flottante, fluctue selon les scènes et les conversations. Georges a tout d’un leader : vocabulaire efficace, ton épique et oratoire, il raconte son programme comme de vraies belles histoires. Et ce ne sont pas ses collaborateurs qui en démordront : entre fascination et servitude aveugle, tous se battent pour faire du parti travailliste le représentant ultime des syndicats aux côtés de la famille Royale.

Un huis-clos aux allures de thriller politique

La prouesse de la mise en scène est donc d’intervertir entre plans séquences des coulisses, façon avant-plateau, et situations d’avant-scène face au public. Selon l’intérêt de la discussion, nous sommes donc aiguillés sur ce qu’il faut suivre. Le spectateur est ainsi placé dans les bottes secrètes de ceux qui gèrent une élection, de la communication, au planning, jusqu’aux moment off des fêtes de fin d’année. Cette pièce aux allures de thriller politique nous enferme dans un huis-clos étouffant de tensions et de rebondissements. Toutes les cartes sont donc jouées : manigances, déstabilisations, pertes de contrôle, trahison, et même pensées meurtrières… Jusqu’où les collaborateurs du parti suivront leur mentor ?

L’art de la mise en scène scène en politique

Lumières, néons tristes, gros plans et atmosphère à la limite du glauque, la mise en scène d’Aurélie Van Den Daele s’apparente aux coulisses d’un plateau de cinéma. Et pour cause. Ici, on parle autant d’art de la politique que d’art de la mise en scène pure. Les gros plans forcent les traits, dévissent les masques de chacun et nous enlisent dans une action soutenue. Le Collectif INVIVO s’invite dans la scénographie, les lumières, la vidéo, et le son, et propose un univers proche des épisodes sombres et stratèges de House of Cards et d’un savant mélange de Spotlight (Tom McCarthy, 2016) et de The Ghost Writer (Roman Polanski, 2010), dans la pression et la constance d’une équipe au service de la vérité. Le son joue également sur une certaine bipolarité des membres du parti, qui s’usent sur de la techno minimale et dansent gaiement sur de la pop UK. Le public dispose donc de toutes les clés de la manipulation, du côté du journaliste comme du côté de l’interrogé. Comme au théâtre – point souligné dans un des dialogues de la pièce -, l’importance des mots et de la répartie est de mise en politique. Un bon point que de le faire participer sans tomber dans la facilité de dialogues participatifs, mais plutôt de nous mettre dans la peau de ceux qui jugent et condamnent, comme le font facilement certains médias. L’art de nous remettre intelligemment en question. À voir.

L’Absence de guerre, David Hare – Aurélie Van Den Daele
Avril 2019
Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon 4e
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