texte hypersensibilité

Le poids des plumes

Une faille pénible et discrète. Un petit rien qui se cueille au détour d’une parole ou d’un geste. Une vague rapide qui rafle âme, esprit et horizon. Inonde nos yeux de larmes et tout notre être d’émotions. Un battement de cils, un verbe lancé comme un couteau, et votre être, docile, se noie dans un verre d’eau. Un mot doux vous rattrape comme une main tendue sur le rivage. Et vous réapprenez à marcher. C’est tout ça à la fois, l’hypersensibilité.

Elle est cette petite voix railleuse qui vous souffle au visage que vous ne valez pas grand chose. Que le monde est impénétrable, que seuls les forts, les ignorants ou les vaillants peuvent s’en sortir. Ce n’est pas vous. Parfois, un écho étranger vous dira « Continues, tu as fait un bout de chemin » . À l’autre de reprendre : « Mais il reste encore demain » . Cette ritournelle, c’est ton mantra quotidien. Sois douce avec les uns, montre tes poings avec certains. Le jugement est facile et c’est à soi de se s’armer. Mais qu’il est difficile quand les larmes, elles, se foutent de la raison. Elles coulent sans précautions aucune, sans écouter tes « Non, non, non » . Elles enrayent la machine : ça y est, tu débordes d’émotions. Il faudrait faire un pacte : à mille sanglots, on est quitte. De ceux qu’elle aimerait garder, ce sont tous ces gens de passage qui sont arrivés dans sa vie. Mais la personne hypersensible l’a vite compris : ici, dans le monde où elle grandit, on s’aime aussi vite qu’on se quitte.

Et quand ce monde aspire au pire, qu’il assombrit chaque regard, tu trouves l’éclat dans la noirceur. Tu danses sous la pluie. Et aux visages des incompris, tu ris de leur bêtise et de la vie. Aux gens que tu croises, aux gens que tu aimes, tu voudrais l’amour et tu le voudrais grand, géant, glorieux, illimité. C’est donc un poids, mais un poids plume, d’être dans cette contrariété. De vivre au regard des autres jusqu’en oublier sa couleur, sa tonalité. Tu te souviens de la pluie ? Danse encore un peu. Bientôt, dans ces flaques d’eaux, tu y trouveras la couleur des gens heureux.


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