Une vie au ralenti – Part.3

« Il y a ici un appétit d’essentiel sans cesse entretenu par le spectacle d’une nature où l’homme apparaît comme un humble accident, par la finesse et la lenteur d’une vie où la lenteur tue le mesquin. » – Nicolas Bouvier dans L’Usage du monde (1963).
C’était comme une parenthèse de respiration, condamnant tout ce qui va trop vite. Un souffle long de deux mois. Une pleine conscience après les nerfs à vif. Est-ce que cela durera-t-il ? L’intensité d’une vie retrouvée bousculera-t-elle ce calme plat ?

Le 11 mai sera la fin. La fin d’un monde étrange, d’un rêve éveillé. Mais une question subsiste : qu’est-ce qu’il y aura, après ?
Le contact social, le travail, nos envies, nos besoins, tout va évoluer. Peut-être que nous serons-nous, nous-mêmes, des êtres plus évolués. Nous serons sans aucun doute marqués. Mais serons-nous… Réveillés ? Il était temps que nos habitudes changent, que nous vivions localement. Que les gestes d’entraide fleurissent, que le sourire déride nos visages endormis. Qu’il ne reste que le moment présent. Le printemps a plus que jamais déposé son voile d’air chaud et de verdure sur notre terre. Mars et ses débuts d’espoir, Avril et ses giboulées, Mai et sa météo imparfaite. Les oiseaux, peu importe le temps, sont, eux, toujours à la fête. Ils nous jettent aux oreilles l’image grossière de notre situation. Ils nous défient de les rejoindre mais nous surveillent, aussi. Notre liberté est un enjeu, un échiquier où chaque coup nous fera soit avancer, soit reculer. En attendant, pour encore quelques jours, nous acceptons cette musique et son constat désagréable : c’est vrai que, sans nous, ils semblaient bien heureux.

Le 11 mai sera le début. Le début de “l’après” . Le premier jour du reste du mois de mai. Nous aurons envie d’humain, de toucher, nous aurons envie de rire, de sentir l’air sur nos mollets. Les lunettes de soleil campés sur notre nez, nous regarderons le ciel. Ou au mieux, le haut des immeubles. Nous aurons cette impression de journée sans fin, de scène comme dans les films. La vie aura une bande-son, une autre photographie, un cadre plus grand. Nous vivrons les mêmes moments qu’avant, ceux qui nous paraissaient anodins, comme des viviers de bonheurs simples. Une vie en Kaléidoscope. Un filtre à la Jean-Pierre Jeunet. Etre en famille, entre amis, frôler l’herbe, sentir le vent du mi-printemps fouetter nos joues, balayer nos cheveux, piquer notre nez. Regarder les premières traces rouges que le soleil a laissé, sur nos bras dénudés. S’allonger sur une dalle de béton chaud, le sac sous notre tête. Faire glisser sous nos doigts les tiges folles de nos plaines vertes.
L’intensité d’un quotidien retrouvé bousculera sûrement nos songes engourdis. A nous alors de décider si nos vieux rêves doivent reprendre vie.


Mes pensées pour les proches des personnes décédées durant l’épidémie, pour le courage et la force de l’ensemble du personnel soignant et les travailleurs restés à nos côtés, au quotidien.
© Pour le dire