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Kaffe Crème, la douceur de l’electro-jazz lyonnaise

Kaffe Crème est un DJ et auteur-compositeur de la région stéphanoise. Il arrive assez tôt sur la scène lyonnaise pour partager ses influences jazz-electro-house-funk. En co-créant le label Moonrise Hill Material, il s’affirme un peu plus dans la House-funk, ce qui, à terme, semble l’enfermer et ne plus lui correspondre. Il revient en 2019 avec un nouveau groupe, le Gin Tonic Orchestra, où il renoue avec ses bases plus instrumentales et regroupe des amis musiciens de Jazz expérimentés, aux influences diverses. Rencontre. 

Pour le dire : Pour la petite anecdote je t’avais vu jouer à l’Open air du Parc Blandan en août 2018.

Kaffe Crème : C’était un sacré moment ! (rires) J’avais bien aimé l’échange qu’il y avait eu avec le public. Ca payait pas de mine, il n’y avait pas grand monde, il commençait même à pleuvoir il me semble. Et dans cette drôle d’atmosphère, des enfants dansaient, faisaient des chorés. Je les suivais en fonction de ce qu’ils me disaient et ce qu’ils demandaient. C’était assez ludique. 

Je commence à aborder la musique sur Pour le dire. Il était difficile pour moi d’apporter une critique dans un art où je ne suis ni experte ni pratiquante. Penses-tu qu’il soit possible, dans la musique ou même à l’intérieur de chaque genre musical, de les appréhender d’un oeil neuf ? 

Kaffe Crème : Je pense qu’on a tous une oreille, qu’on est tous capables d’écouter, de ressentir, et donc qu’on a toujours son mot à dire. Qu’on aime ou qu’on aime pas d’ailleurs. Dans la musique, il y a beaucoup de choses à raconter. J’ai commencé à me découvrir un regard sur le cinéma, de mon côté, d’un point de vue totalement amateur. Je me suis intéressé aux plans, aux lumières. Avoir un regard neuf permet aussi de se faire une idée de ce qu’on aime ou pas, et pourquoi pas utiliser ces recherches pour créer par la suite.

D’une envie d’amateur ou pour en faire un projet cinématographiques, comme des vidéos ou des clips servant ta musique ? 

Kaffe Crème : J’ai un projet de musique mêlant le jazz et la musique électronique avec des amis musiciens de ma ville. On s’inscrit dans un réseau et un style musical assez complexe, le jazz funk et la musique électronique, qui se vend bien si on est dans les réseaux. Et commencer un groupe, pouvoir mettre la main à la patte dans les clips, c’est ce qui nous permet d’être indépendants et de créer nous-même quelque chose. On se filme parfois avec nos téléphones, et je fais ensuite le montage. 

Photo prise à l’argentique au Sucre – Lyon © Victor Dijoud

Tu as fait parti du label Moonrise Hill Material avec Folamour, Ethyène et Saint Paul, qui sont des noms qui résonnent en tant que lyonnaise amatrice de musique House et electro. Comment te vois-tu poursuivre tes projets, en ayant fait ce détachement ?

Kaffe Crème : J’ai quitté le label Moonrise Hill cette année justement. Je dois dire que cette année 2019 a été riche en événements. Et même quand ils étaient négatifs, ils apportent quelque chose à ma réflexion artistique. J’ai eu envie de retourner à la musique instrumentale. Durant mes études musicales, J’étais destiné à un parcours dédié aux musiques symphoniques, classiques, d’entrer dans des orchestres. C’était le chemin tout tracé de ma formation on va dire. D’avoir pris un tournant électro m’a fait du bien, un temps, mais j’aimerais aujourd’hui me tourner vers mes premières approches classiques apprises au Conservatoire.

Quitter le label Moonrise Hill était donc un choix de retourner à une identité plus personnelle, pour porter un projet plus intime, ? Comme un retour aux sources musicalement ?

Kaffe Crème : Même si le label fut intéressant dans ta période de réflexion artistique, j’ai eu besoin de retourner à une identité musicale plus personnelle. Même s’il y avait au départ une certaine liberté d’expression au sein de Moonrise Hill, j’ai trouvé qu’on stagnait dans un certain style : la house-funk. Aujourd’hui, cela ne me correspond plus. J’ai envie de réutiliser le bagage développé durant mes années plus classiques pour composer et écrire. Tout naturellement, j’ai eu plus envie d’entreprendre des projets de groupes.

Ton parcours me fait penser à ce qu’à pu faire Superpoze, qui a commencé par le  DJ set, en se faisant connaître notamment en première partie de C2C en 2012, et en passant sur la scène du Sucre en 2017. Aujourd’hui, il mène des projets artistiques dans l’ombre en composant des BO de pièces de théâtre ou même de films. Cela rejoint l’idée pour moi de se dédier à la relation de professionnel à professionnel, plutôt qu’au grand public. Ce serait ton idée, à terme ?

Kaffe Crème : C’est vrai que je ne me refuse aucun projet. J’ai eu l’occasion par exemple de monter un spectacle de danse, avec des danseurs de Hip-Hop et des danseurs contemporains, entre percussions et musiques électroniques en live. de composer pour un spectacle de danse sur Genève. J’ai aussi composé une pièce pour orchestre symphonique et musique électronique qui a été joué en 2016 au Fil de Saint-Etienne. Monté un projet Hip hop avec un ami. Monté plusieurs live de musiques électroniques avec d’autres amis dans des styles différents, allant de la drum n bass, techno, house, deep… Aujourd’hui je suis en train de produire pour des rappeurs. Je recommence à chanter aussi, peut être à terme, je me ferai un projet solo un peu plus pop, qui sait … Je m’essaye à de nouvelles choses qui me permettent d’avoir plusieurs cordes à mon arc. Et j’aime ça ! C’est aussi une envie de ne pas se sentir piégé dans un certain style musical, et de constamment faire la même chose. 

Quel est ton projet actuel ? Et, en lien avec ce dernier ou non, le genre musical qui t’inspire ?

Kaffe Crème : J’ai fait appel à des amis du Conservatoire qui ont pour chacun d’eux un lien avec la musique électronique. Pour ceux avec qui j’ai choisi de collaborer, on est plus ou moins lié par le jazz. Ils sont vraiment doués dans ce genre musical, et j’apporte le côté musique électronique par mes expériences de DJ et producteur. On a créé ensemble un groupe de Jazz appelé le Gin Tonic Orchestra

Les membres du Gin Tonic Orchestra (Kaffe Crème à gauche) © Benoit Roche

Donc tu as eu à coeur de choisir des personnes qui ont à la fois la technique mais aussi ce goût d’ailleurs, qui ne restent pas dans leur zone de confort ?

Kaffe Crème : C’est tout à fait ça. Mais surtout des musiciens qui étaient à même d’expérimenter plusieurs choses sur un projet. Chacun va apporter sa propre sensibilité et ses influences musicales. Mêler tous ces univers a été un sacré défis, et a donné une année 2019 pleine d’expérimentations. Cela donne un beau mélange, je vous conseille d’aller écouter ! 

Avez-vous pu vous tester sur du live ? Voir les réactions du public ?

Kaffe Crème : on a joué pour notre première date au New Morning à Paris, qui est pour moi le plus grand club mythique de Jazz à Paris lors du Easter Sounds Festival, qui est un super festival de jazz funk mêlant DJs et musiciens, danseurs, …. Deux semaines après, on partait pour Vérone en Italie pour l’ouverture du label Mother Tongue Records, sur lequel on a signé notre premier Ep “Stefania” avec notamment un super remix de Kaidi Tatham On a évidemment joué dans notre ter-ter, à Saint Etienne, où il y avait tous nos proches : amis, famille. Le club dans lequel on a joué a ouvert dernièrement, le Disorder. C’était assez intimiste, on était 400 sur une capacité de 180 personnes. On a donc joué notre live et terminé en DJ set avec les instrumentistes qui jammaient sur le DJ set. Ces moments de pures impros nous ont donné envie de créer une prestation de 6h, en partant du plus ou moins maîtrisé pour finir sur de la totale impro. Les instrumentistes du groupe sont habitués à ce type de concerts. Ce qui est intéressant est d’apporter ici une nouvelle vision de la jam session, moins Jazz et plus électro. 

Une jam session actuelle, pour ainsi dire ? Où chacun participe anonymement, sans forcément donner son nom d’artiste mais être là, au moment présent, pour servir la musique.

Kaffe Crème : Exactement. Je trouve qu’aujourd’hui, le regard et l’ego trip dans le milieu de la scène est énormément présent. Il y a comme l’idée de devoir booker certaines personnes en fonction de leur notoriété plus que par leur talent. La consommation de la musique, avec les plateformes de streaming par exemple, accentue ce phénomène. Si un nom apparaît de plus en plus, il remonte dans les classements. Alors, ces artistes montants auront plus d’accès, mais pas forcément parce qu’ils sont bons.

Concert au New Morning – Paris © Le Viet

D’un côté c’est aussi une bonne chose. Moi-même en tant que consommatrice de ces plateformes, j’ai pu découvrir des artistes qui n’auraient pas forcément eu la comm ou le budget pour se mettre en avant dans leur domaine musical de prédilection.  

Kaffe Crème : C’est vrai qu’il n’y a pas vraiment de justice dans l’industrie musicale. Ca peut être un titre et là, le déclic. Comme ça peut être une galère de 10 à 20 ans, avec une carrière artistique et professionnelle phénoménale sans avoir écoulé de nombreuses ventes et albums. en tant que digger et DJ, j’aime trouver ces petites perles très peu connues dans un genre musical, chercher des artistes en brocante ou sur des sites obscurs de musique. Même si aujourd’hui je continue d’écouter de la musique sur YouTube. Ca dépend des moments je pense, comme tout le monde : parfois on consomme la même musique de très nombreuses fois et parfois on a envie de chercher ailleurs, d’aller dans des choses alternatives. 

J’ai donc l’impression que tu t’éloignes de la scène en tant que Kaffe Crème pour davantage collaborer au sein du Gin Tonic Orchestra. J’ai donc deux dernières questions : est-ce que tu continueras à faire du club ou des événements de DJ set purs ? Et si oui, aurais-tu tendance aujourd’hui à privilégier les festivals ou les clubs plus intimistes ?

Kaffe Crème : Je veux continuer à mixer, c’est sûr. Ce que je fais en DJ set, ce n’est pas la même chose que lorsque je suis avec le Gin Tonic Orchestra. Mixer me permet de continuer à digger, à chercher des nouveaux sons, et à garder une proximité avec le public. Pouvoir faire danser les gens est une sensation assez dingue. En live, c’est toi qui as composé le morceau donc il y a aussi quelque part une satisfaction artistique. Mais lors d’un DJ set, il y a un apprentissage bon à en tirer : la musique ne t’appartient pas forcément et c’est à toi d’en tirer profit à tel ou tel moment, pour maintenir les gens dans l’ambiance que tu veux créer. C’est aussi amener une couleur, avec mes influences, mes écoutes du moment. Et quand les gens dansent en face de toi, tu es récompensé. 


Merci à Victor aka Kaffe Crème pour sa disponibilité et la richesse de cet échange.

© Pour le dire