Un Conte de Noël de Julie Deliquet au Radiant-Bellevue

Retranscrire sur planches un scénario de film populaire n’est pas chose aisée. D’abord, il faut réussir à déconstruire un décor pour recréer une atmosphère : celle bien singulière du théâtre. Ensuite, il faut tenter de surprendre les spectateurs face à ce qu’ils connaissent déjà. Enfin, il faut pouvoir évincer, ou à défaut jouer avec les fantômes des acteurs qui interprètent chaque personnage dans la version originale d’Arnaud Desplechin.

Une fresque familiale

On les connaît tous, ces décors de fêtes, ces préparatifs, ces anniversaires. De rencontres fortuites en grandes occasions, dans chaque famille, on retrouve les mêmes symptômes : le rire passe facilement aux larmes, l’amour à la rancœur, et tout peu basculer en autant de temps qu’il en faut pour trinquer. Chez les Vuillard, la famille, c’est un tout. Un frère particulier, une sœur un peu dérangée, des enfants sensibles et écorchés, des histoires d’amours tues depuis longtemps… Dans cette famille revisitée par Julie Deliquet, on vit et s’immerge de chaque sourire, chaque moment de complicité. Sur les planches, la scénographie abreuve cette ambiance de bougies et de feu de cheminée : meubles de bric et de broc, lampes allumées de ça et de là, tout est fait pour nous rappeler les chauds moments de réunion. Même le café du matin est préparé sur scène et vient jusqu’à nous nous titiller les narines. La madeleine de Proust est immédiate : on se revoit siroter ce breuvage noir des des tasses dépareillées. Cette 4e dimension de l’art apporte une touche de modernisme à cette scène traditionnelle. L’immersion familiale est parfaite.

Un Conte de Noël : le récit immersif d’une famille pas comme les autres

Cependant, on ne peut ignorer ce drame latent, qui plane au-dessus de nos héros comme une épée de Damoclès. Car si ce monde fonctionne, c’est grâce à son noyau : Junon, une grand-mère chaleureuse, et Abel, figure du grand-mère toujours tendre et bon vivant. Mais ce Noël est particulier : Junon est malade, et doit recevoir une greffe de moelle osseuse. Seulement, tous ne peuvent être compatibles. Le paria va-t-il devenir Roi ? L’oublié le plus éclairé de la soirée ?

Thomas Rortais incarne Paul dans a pièce de Julie Deliquet met en scène au radiant bellevue Un conte de Noël, de Desplechin, au théâtre en 2020
Thomas Rortais incarne Paul, le jeune discret de la famille

Ce qui est une évidence, c’est que ces deux heures trente filent à une vitesse impressionnante. Les événements se lient, les langues se délient, les masques se posent pour jouer une pièce de théâtre et se brisent pour se regarder dans la glace. Une performance d’acteurs épatante, d’autant plus saluée lorsque l’on arrive à briser l’image de Catherine Deneuve en douce Junon et Mathieu Amalric en Henri, le fils ingrat. Solène Cizeron (Esther) est vive et affranchie, Thomas Rortais (Paul) est juste dans ses silences, Eric Charon (Ivan) recréé cet homme que le temps a effacé, mutilé. Une pièce à la fois évidente et riche de bavardages philosophiques.

Pour le Radiant-Bellevue, la semaine de représentations est terminée, mais pour la compagnie In Vitro, la route ne fait que commencer. Affaire à suivre.


Un Conte de Noel, au Radiant-Bellevue – Février 2020
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