Rencontre avec le Collectif Les Herbes Folles

Jean-Malik Amara, Léna Genin et Guillaume Douat jouaient au théâtre des marronniers du lundi 7 au vendredi 11 mars derniers. La Supercherie Réciproque est la première pièce créée par le collectif. Le berceau de la création émerge en 2019, à la suite de la conférence menée par Aurore Evain sur le thème du matrimoine théâtral en France. Dans l’idée de réhabiliter la présence des femmes autrices dans le milieu théâtral, ces trois collègues-amis ayant fait leur classe au Conservatoire de Lyon fondent – non sans découvertes et difficultés propres à la création d’une pièce – le Collectif Les Herbes Folles. Rencontre.

Le Collectif au théâtre des Marronniers - © Pour le dire

Pour le dire : Parlons déjà de cette très belle semaine au théâtre des Marronniers : étiez-vous préparés à l’idée d’avoir une salle comble à chaque représentation ? Comment avez-vous préparé la communication en amont du spectacle ?

Jean-Malik Amara : On travaille énormément sur les réseaux. On a réalisé des courts vlogs humoristiques pour annoncer les dates, créé des visuels, des stories… Mais pas que ! On a également tracté, parlé du spectacle autour de nous, dans des cercles de proches mais aussi de professionnels du milieu.

Est-ce qu’on peut dire qu’il y a un effet de bouche-à-oreille qui se crée entre chaque date ? Le public et professionnels se passent le mot, en discutent autour d’eux…

Jean-Malik Amara : Tout à fait. J’ai un exemple très concret sur l’effet du bouche-à-oreille avec la venue de Jacques et Brigitte Chambon. Il se trouve qu’il y avait, dans la même soirée, l’assistante metteuse en scène de la pièce Fracasse dans laquelle joue Jacques Chambon dans plusieurs théâtres de France. Une amie lui avait en effet conseillé d’aller voir cette pièce, étant venue la veille. C’est comme cela que l’assistante metteuse en scène de Fracasse est venue jusqu’au théâtre des marronniers nous voir jouer !

Léna Genin : J’ai également retrouvé parmi le public quelques personnes qui étaient venues me voir jouer dans d’autres pièces. Parfois, à l’issue d’une représentation, on nous demande « Où peut-on vous voir jouer, prochainement ? ». Je leur avais donc parlé de La Supercherie Réciproque au mois de mars. Quelques personnes que l’on rencontre dans des festivals, aussi, ou même des collègues de travail. À force d’en parler dès que l’on croise quelqu’un, l’effet prend.

Quel est le berceau de cette création et comment est née l’envie de mettre en scène la pièce La Supercherie Réciproque ?

Guillaume Douat : En 2019 a lieu la conférence d’Aurore Evain sur le matrimoine théâtral. La pièce a été, quant à elle, trouvée en août 2020. En septembre de la même année, nous avons pu jouer les prémisses de la pièce lors des journées du matrimoine en septembre. Nous avons fait une « mise en voix » de la pièce à la boulangerie du Prado, dans le 7e arrondissement de Lyon. À la suite de cette lecture et de l’engouement qu’elle avait suscité, nous avons décidé de poursuivre l’aventure de La Supercherie Réciproque. Evidemment, nous n’avions pas encore de visibilité sur une date éventuelle de représentation, les théâtres étant fermés à l’époque. C’est en février, mars 2021 que nous avons commencé à avoir des dates. Parmi elles, le festival d’Avignon 2021 et plusieurs dates programmées en Ardèche sur tout l’été. De la lecture en septembre 2020 jusqu’aux premières dates en juillet de l’année suivante, neuf mois s’étaient donc écoulés… Le bébé était né !

Le Collectif lors de la mise en voix à la boulangerie Le Prado, Lyon 7e - © Emma Favier

En tant que tout jeune collectif et comédien.ne.s, avez-vous eu du mal à trouver des dates qui vous rémunèrent ? Les débuts du statut d’intermittent étant généralement fait de bénévolat ou petites heures pour se lancer et constituer son réseau.

Guillaume Douat : Nous avons eu la chance de trouver rapidement des dates où nous étions payés. Avant, nous étions plutôt achetés.

Jean-Malik Amara : Quand on parle d’”achetés”, cela signifie que le collectif définit un prix de cession pour les établissements ou Mairies souhaitant acheter la pièce le temps d’une représentation, ce qui permet à chacun.e d’être rémunéré au minimum légal. Sinon, il y a ce qu’on appelle une coréalisation avec une structure, où l’on partage les recettes de la billetterie avec le théâtre puis entre comédiens, à la suite d’une représentation. La deuxième option implique généralement de jouer à perte. Il faut donc rentabiliser cette perte en misant tout sur la visibilité par une salle comble.

Comment apprend-on, en tant que jeunes comédien.ne.s du théâtre, à définir un prix sur sa création ? Est-ce quelque chose que l’on vous apprend, au Conservatoire ? Ou devez-vous faire vos recherches en totale indépendance ?

Léna Génin : On ne nous apprend pas cela à l’école. On nous apprend à bien se placer sur scène, à se tenir droit, à projeter sa voix, à incarner un personnage. Mais on ne nous prépare absolument pas à ce qu’il se passe en dehors du plateau, à savoir toute la partie administrative.

Jean-Malik Amara : Ce qui est 80% de notre temps. Pour vous donner un ordre chronologique : en août 2020 nous savions que nous voulions jouer cette pièce, en septembre ont eu lieu les lectures, et nous avons suite à cela crée un dossier de diffusion. On a dû définir une charte graphique, un logo, un propos… Amélie Branchat nous a d’ailleurs accompagné sur ce dossier. On a estimé ensuite un prix de cession adapté aux structures à qui le collectif s’adressait, un cachet propre à chaque comédien lorsque la pièce n’était pas achetée mais que nous étions rémunérés en individus propres. Puis on a créé les flyers, les affiches, notre page facebook.

Léna Génin : On a donc dû se débrouiller seuls et à l’aide de nos propres réseaux pour créer. Il y a de nombreuses choses qui encadrent la construction d’une pièce de théâtre : la production, la diffusion, la communication, la comptabilité ou administration. On s’est aussi entouré d’un administrateur de production, Antoine Deloche, qui nous a permis de nous développer, d’aspirer à plus grand.

Guillaume Douat : Pour un cas concret, une stratégie de diffusion encadre toute la communication en amont du spectacle mais aussi pendant. Inviter des metteurs en scène, en parler, inviter des professionnels de théâtres plus gros, qui sont en capacité de nous acheter pour qu’ils découvrent notre travail, et que l’on fasse le même chemin, chez eux.

Les écoles qui forment aux pratiques théâtrales sont donc bien éloignées de ce qu’il peut se passer, dans la réalité ?

Guillaume Douat : Les écoles sont complètement en scission avec la réalité. Elles forment effectivement au métier de comédien mais ne forment pas à la réalité du milieu. Elles nous communiquent du fantasme. Ce qui est triste, car la plupart des élèves qui sortiront du Conservatoire sont complètement dépendants d’une structure préexistante.

Jean-Malik Amara : Pour eux, une fois que l’élève sort, il est en capacité de créer, déployer sa structure et employer. Ce qui, à moins d’être entouré de mécènes, n’est pas possible. L’élève ne pourra pas employer directement un.e chargé.e de diffusion, un.e chargé.e de communication, un.e administrat.eur.rice. Ce sont des milliers d’euros engagés, difficilement accessibles pour un.e jeune comédien.ne.

Guillaume Douat : La notion de résidence a également bien changé. Avant, une structure pouvait nous prêter un lieu pour créer, sur dossier. Aujourd’hui, elle loue ses espaces car la demande explose.

Léna Génin : Le métier d’acteur est tellement perçu comme le plus beau métier du monde que l’on pourrait presque croire que les écoles gardent intentionnellement toutes les réalités du métier cachées. Si chaque comédien.ne pouvait se lancer sans dépendre d’une structure, d’une compagnie, d’un metteur en scène, il y aurait sûrement une saturation des propositions dans le secteur. Et ce milieu deviendrait un monde de requins où chaque compagnie défend sa part. Alors qu’en se ralliant à ce qui est déjà créé, on limite ces risques d’explosion de l’offre. Beaucoup de comédien.nes que l’on a vu sortir du Conservatoire, jouer avec les plus grands metteurs et metteuses en scène de la région, s’investir dans des spectacles nationaux, abandonner car ils n’étaient pas capable de gérer tous les autres volets annexes à la scène. Il faut donc avoir une certaine gniac pour défendre son projet ou se faire sa place. C’est aussi là qu’intervient le réseau, qui peut avoir une place essentielle dans le début d’une création. Un proche nous aidera à la stratégie de communication, un ancien collègue nous donnera un contact… Bien s’entourer fait aussi partie inhérente du métier.

Est-ce que la création de ce collectif intervient dans l’idée qu’il est plus difficile de créer seul, ou était-ce une volonté de s’entourer de personnes et professionnels que vous appréciez pour avancer, ensemble, sur un projet commun, avec une vision commune ?

Jean-Malik Amara : Pour moi c’est avant tout l’amitié qui a porté ce projet. Avec Léna, nous avions déjà collaboré sur des projets, ce qui nous a fait nous connaître artistiquement. Puis je me suis rapproché de Guillaume au Conservatoire. Je connaissais donc plus l’humain que l’artiste mais j’étais très curieux de découvrir sa vision artistique. Les premières réunions ont duré plusieurs heures. Nous nous sommes sondés les uns les autres sur nos envies actuelles, en sortie du premier confinement.

Léna Génin : L’amitié est très importante lorsque l’on souhaite créer un projet, mais la façon de concevoir un projet l’est tout autant. La force de notre collectif est que nous avons tous de l’ambition. On se prend au sérieux et on a envie de grandir. Au-delà de l’amitié, il y a donc cette énergie commune de faire évoluer notre collectif avec une rigueur imposée aux temps alloués au travail : il y a un temps pour les sorties entre amis et un temps pour travailler, efficacement. C’est une véritable force de se sentir porté et d’être en capacité de porter les autres.

Comment le collectif Les Herbes Folles s’est-il donc retrouvé dans la programmation du théâtre des Marronniers ?

Guillaume Douat : Quand on souhaite s’intégrer à la programmation d’un théâtre, nous devons envoyer un dossier de diffusion qui décrit la compagnie, détaille le synopsis de la pièce que l’on souhaiterait jouer, donne la note d’intention du collectif – notre projet, nos valeurs, notre vision – , s’accompagne de quelques photos…. Nous prenons évidemment en compte  la programmation des structures que l’on cible, pour être en cohérence avec leur ligne éditoriale. Ensuite, si l’équipe du théâtre est intéressée, l’échange se crée. Nous avons donc pu discuter du projet avec Vincent Fleurot, en charge de la communication et de la programmation des Marronniers. Le projet de réhabilitation du matrimoine ainsi que notre dossier l’ont convaincu pour nous donner des dates sur la saison 2021/2022.

Cette semaine, vous jouez au théâtre des marronniers. Quelle est la suite pour le Collectif ?

Jean-Malik Amara : On jouera prochainement dans le cadre du festival La Basse Cour, organisé par Le Nid de Poule, à Lyon. Ce sera le 7 mai, à 20h, en extérieur à l’Amphithéâtre des trois gaules. C’est une nouvelle scène qui s’intéresse à l’art de rue. Il y aura également le festival Tout le Monde Dehors, organisé par la Ville de Lyon, où nous jouerons le samedi 6 août 2022 à 18h30 au Parc de la Cerisaie, dans le 4e arrondissement.

Guillaume Douat : L’année prochaine, nous sommes programmés au théâtre de Guyancourt, du côté de Versailles. C’est un théâtre municipal qui fait partie du réseau « Edifier notre matrimoine » cofondé par Aurore Evain et le théâtre de Guyancourt, dirigé par Yoann Lavabre. Il met en lumière les pièces de théâtre classique écrites par des femmes, entre le 13e et le 18e siècle.

Léna Genin : il y aura également un projet de lecture autour du matrimoine en Ardèche avec un public différent : des jeunes (collégiens, lycéens) comme des publics adultes. D’autres projets sont encore au stade embryonnaire, notamment en lien avec les archives départementales. Il y aura aussi des représentations à Bron, à l’Arbresle et à Lentilly auprès des scolaires. Il est important pour nous de parler des femmes autrices car elles sont peu présentes, voire inexistantes, dans les corpus des livres scolaires.

Beaucoup de projets sont donc à monter autour de la Supercherie Réciproque mais aussi autour du matrimoine, au global.

Pour en découvrir davantage, parcourez la critique de la pièce La Supercherie Réciproque.

Propos recueillis par Clara Passeron le vendredi 11 mars au théâtre des Marronniers. Merci infiniment à Léna Genin, Guillaume Douat et Jean-Malik Amara pour leur écoute active et leur bienveillance.

© Pour le dire