Past lives de Celine Song

Dans une petite ville de Corée du Sud, Hae Sung et Nora se disent au revoir. L’un reste, l’autre part. Ils ont 12 ans et leur amour est encore platonique, alors les adieux se font sans grande cérémonie. Dans la vingtaine, Nora et Hae Sung reprennent contact. Leur complicité est intacte, les discussions prolixes. Seulement voilà, Hae Sung est toujours en Corée, et Nora est installée à New-York. 

Il y a ce qu’on abandonne et il y a ce que l’on gagne 

Quand Nora apprend qu’elle doit partir, sa jeunesse l’empêche de ressentir toute forme d’abandon. Les années coucheront enfin sur papier ce qu’elle aurait dû ressentir. La théorie du cordonnier mal chaussé fonctionne ici parfaitement : même si Nora est autrice, elle n’a jamais pu correctement formuler ses adieux à Hae Sung. Peut-être savait-elle que leur connexion resterait, malgré la distance, malgré les années ?

Nora (Greta Lee)

Celine Song retranscrit ses messages à travers les voix des personnages. Ainsi, quand la mère de Nora dit à une amie, en Corée “il y a ce que l’on abandonne et ce que l’on gagne” , la réalisatrice inscrit dès les premières minutes du film cette notion de choix. La vie est un arbre des possibles, où des infinités de routes se dessinent. Dans tous les cas, on perd quelque chose et on en gagne une autre.

Les vies antérieures

Past Lives explore évidemment la notion de vies antérieures : celles que nos âmes vagabondes ont vécu avant nous, ou les vies antérieures qui nous raccrochent au passé. Sans que l’on soit spirituel ou connecté à ces idées, on s’est déjà tous demandé “Et si ?” ; Et si j’étais parti. Et si j’étais resté. Et si j’avais continué cette relation, poursuivi mes études, accepté ce job ?

La cinéaste construit trois personnages très différents, mais qui se croisent dans leur pudeur et dans leur sensibilité. Il y a d’abord Nora (Greta Lee), qui se refuse d’être trop sentimentale et se range plutôt du côté de la pensée cartésienne “C’est ici que j’ai atterri. C’est ici que je suis censée être.”. Puis il y a Arthur (John Magaro), son mari, qui voit en Nora toutes les femmes talentueuses qu’elle pourrait devenir jusqu’à en questionner le choix de Nora de l’aimer, lui. Et de vouloir cette vie. Enfin, il y Hae Sung (Yoo Teo), qui s’exprime en silences, en regards, en sourires. Malgré l’empêchement et les difficultés de communication – dans tous les sens du terme – l’amour circule. Comment se mettre en travers du destin, si on est à la place d’Arthur ? Pourquoi s’immiscer sournoisement dans un si beau couple, quand on est à la place d’Hae Sung ? Et dans les non-dits et inquiétudes de ces deux hommes, Nora va devoir, elle, décider.  

Hae Sung (Yoo Teo) et Nora (Greta Lee)

Inyeon : le lien émotionnel entre deux personnes

Comme on ne sait jamais ce que l’on rate, tous les Et si jetés dans le vide donnent petit à petit lieux à des récits imaginaires. Nora ne veut pas fermer cette porte, car elle devra définitivement dire adieu à son amour d’enfance, celui qui la rattache à sa vie d’avant, en Corée, mais aussi à son innocence d’enfant. La réalisatrice Celine Song dessine alors une boucle cinématographique, où les acteurs se retrouvent de nouveau dans un carrefour de vie. Dans cette scène, Nora porte la même marque de chaussures qu’elle avait dans ses précédents au revoir, 20 ans plus tôt. Mais elle est une femme, à New-York, et est mariée. Les enjeux ne sont plus les mêmes, malgré l’inyeon. 

Alors, quand Nora pleure en rentrant chez elle et qu’Arthur l’attend, les pleurs de Nora, sont deux cadeaux. D’abord, elle s’autorise 20 ans plus tard à enfin pleurer sur ce qu’elle quitte. La Nora de 12 ans ne réalisait pas à ce moment précis de sa vie ce que partir signifiait. Arthur, lui, découvre une facette de Nora qu’il ignorait : la personne plus fragile qu’elle peut être, au fond d’elle. Elle reconvoque la petite fille dans sa vie d’adulte et se réconcilie avec les mots qu’elle n’a jamais pu dire. Il faut parfois toute une vie pour apprendre sur soi.

Photographies : © Twenty Years Rights LLC
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