La (nouvelle) Ronde de Johanny Bert au Théâtre de la Croix-Rousse

Chaque rencontre nous touche. Elle laisse une trace, plus ou moins durable. Nous inspire des émotions fortes, positives comme négatives. Parfois, nous en oublions quelques unes. Puis elles reviennent, dans le conscient ou dans un rêve, sans que nous n’en décelions l’origine ou l’intérêt. Dans tous les cas, chaque rencontre nous façonne. Indéniablement.

La (nouvelle) ronde est une ré-écriture contemporaine de La Ronde d’Arthur Schnitzler, écrite en 1897. Avant-gardiste et donc choquante pour le siècle en question, la pièce fut l’objet de nombreuses censures. Pourtant, à la toute fin du 19e siècle comme au début du 21e, les sujets traités sont universels : l’amour, le sexe, la passion, l’hypersexualité, les questions de genres, l’asexualité.
Et autant de façon d’aborder ces thématiques qu’il existe de vies et de sexualités.

Une nouvelle façon de danser : contemporaine et poétique

Pour réécrire une pièce avant-gardiste, passant au peigne fin son époque et ses coutumes, il ne manque pas grand-chose. La matière est là. Le constat, aussi. Il faut alors cette touche de modernité, associée à un talent certain pour raconter les histoires.
Johanny Bert, metteur en scène et marionnettiste, a confié la plume à Yann Verburgh, auteur contemporain de théâtre et scénariste. Pour enivrer cette pièce d’une aura intimement familière, le metteur en scène et l’auteur partent sur le terrain. “Nous avons rencontré une dizaine de personnes d’âges différents, venant de différentes villes de France. Une façon d’être au plus proche de la compréhension du réel, sans jugement.” s’exprime Johanny Bert.
Mais le propos n’est pas l’unique medium qui doit crier le vrai. Les corps, aussi, se doivent d’être repensés. Une équipe de cinq plasticiens, dirigée par Laurent Huet, plasticien également, puisent alors dans le charnel, dans la matière. Les corps des marionnettes laissent donc entrevoir des plis, des rides, des bouts de peaux qui débordent ou des muscles saillants. Les mâchoires sont carrées, creuses, joufflues, les regards donnent presque l’illusion que le comédien derrière transmet un peu de son âme à chaque mouvement. Alors, en quelques minutes seulement, face à un décor à l’échelle de ces petits personnages et à une musique vibrante et incarnée menée par Fanny Lasfargues, les marionnettes prennent résolument vie.

Photographie : © Christophe Raynaud de Lage

Les vies défilent, l’amour, aussi

10 histoires, c’est autant de discours, de chemins de vie et de personnalités qui défilent devant nos yeux de spectateurs de théâtre ébahis. Déjà, par la force des mots. La plume de Yann Verburgh donne ce qu’il faut de modernité pour que la pièce soit réaliste et nous emporte. Ainsi, quelques phrases chocs nous restent en mémoire “Aimer, c’est réac’” ; “C’est plus facile de se confier à un inconnu.” ; “Je sais qu’on s’aime, mais on est plus amoureux” . Et la plus belle, sans doute : “C’est en ayant le courage d’être soi qu’on rend le monde un peu moins vulnérable.

Des conversations de bords de lits, de club où les basses grillent les tympans des premiers rangs, de comptoir. Le sexe apparaît souvent comme libre mais l’amour fait peur. Comme il est difficile, dans un monde en constant changement, de s’accrocher à des choses fixes. Car rien n’est fixe, et encore moins permanent.
La (nouvelle) Ronde questionne aussi ces grands changements qui nous ébranlent, ces questionnements intimes où il est presque difficile de se reconnaître. Alors que nul n’est censé mieux se connaître que soi. Cette fraîcheur dans le ton et dans la mise en scène invite alors le spectateur à repenser son quotidien. S’autoriser, peut-être, le doute. S’autoriser, surtout, à relâcher le poids qu’il s’inflige sur les épaules. Nous sommes libres d’aimer, comme de ne plus aimer. Libres d’avoir une sexualité classique, comme une sexualité plus marginale. Enfin, ça c’est ce que l’on pourrait penser.

Et si une œuvre inspire autant et nous donne nourriture pour s’interroger sur les grands maux des vivants, c’est qu’elle a réussi. Une pièce à suivre…


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