Une étrange affliction

J’invente des vies à tous les inconnus
Et des amants à tous les visages heureux.
Il y a en ce moment, dans mon regard,
Des étincelles vives. Des gestes curieux.

Ai-je un besoin de m’échapper ?
D’entendre de nouvelles voix ?
Accueillir d’autres histoires ?
Les écouter, émerveillée, car l’inconnu
a cette vertu d’amuser,
même dans le noir.

Longer les vies des gens,
Depuis ma barque, sur un cours d’eau,
Longer les maisons,
Longer les hameaux,
Longer tout ce qui,
De près ou de loin,
Me semble beau.

Leur visage, c’est un peu moi.
C’est un peu toi, aussi.
C’est tout un monde empli de traits singuliers.
Et dès que je tends le bras,
Comme pour les effleurer,
Les masques tombent : dessous,
le vide.

J’invente des vies à tous les inconnus
Prête des rires indicibles
À des sourires pincés ;
Des pensées libertines
À tous ces yeux rieurs.
Et, à ces regards distraits,
De folles envies d’ailleurs.

Si l’inconnu m’intéresse,
Si je préfère la joie à la tristesse,
Et s’il faut un coupable,
Je pense l’avoir en tête.

Il y a dans l’air, en ce moment,
Une presque envie d’aimer.

© Pour le dire