Rencontre avec la réalisatrice Katell Quillévéré et Vincent Lacoste pour Le temps d’aimer

Quand les cloches de la fin de la seconde guerre mondiale sonnent, c’est le soulagement pour certains et l’humiliation pour d’autres. Des milliers de femmes, en France, sont tondues publiquement pour avoir eu une liaison avec le camp ennemi : les allemands. En plus d’être humiliées, ces femmes, de tout âge, sont également rejetées par leur famille et par leurs pairs. Madeleine est l’une d’entre elles. 

J’ai eu l’opportunité de rencontrer la réalisatrice Katell Quillévéré et l’acteur Vincent Lacoste à l’occasion de la sortie du film. Interview vidéo disponible sur le compte Instagram de Pour le dire.

Rencontre avec la réalisatrice Katell Quillévéré, le co-scénariste Gilles Taurand et Vincent Lacoste

Pour le dire : Que souhaitiez-vous raconter à travers le temps d’aimer ?

Katell Quillévéré : L’idée de départ s’inspire d’un vécu, d’une histoire familiale. Ma grand-mère a eu une histoire avec un soldat Allemand, pendant l’occupation. Elle était très jeune et c’était sa toute première rencontre. Elle est tombée enceinte de ce soldat et sa vie à basculée, comme pour Madeleine dans le film. Elle est passée d’adolescente à mère célibataire, d’un enfant de l’ennemi. Elle a fait la connaissance de mon grand-père sur une plage de Bretagne, quatre ans plus tard. Ce jeune homme était d’un milieu social plus aisé qu’elle lui a demandé sa main, malgré l’opposition de sa famille. Il a adopté l’enfant et ont gardé secret, toute leur vie, la vraie paternité de l’enfant. Ils ont eu ensemble d’autres enfants, dont mon père. 

Vous portez donc cette histoire en vous depuis très longtemps ? 

Katell Quillévéré : Dès que j’ai connu la vérité, je voulais raconter cette histoire. Le moteur de ce désir de fiction a été motivé par le couple. Ces deux personnes, qui n’auraient pas dû se rencontrer car elles ne viennent pas du même milieu, se sont aimées. On comprend ce qu’elle fuit, mais pas tout de suite ce que lui porte en secret pour se jeter si vite dans cette relation. C’est donc aussi autour de ce mystère et du personnage de François [interprété dans le film par Vincent Lacoste], que nous avons commencé à broder avec Gilles Taurand, co-scénariste du film, une fiction. 

Madeleine (Anaïs Demoustier) et François (Vincent Lacoste)

Quelles sont les contraintes – s’il y en a eu – que vous avez pu rencontrer dans l’écriture du scénario à quatre mains ? 

Katell Quillévéré : Nous avons mis tous les deux du très personnel dans ce film. Nous partons de la vie de ma grand-mère mais avec d’autres interprétations, d’autres fils tirés. Gilles a mis beaucoup de sa vie personnelle dans ce film. Les contraintes dans l’écriture d’un scénario viennent surtout du financement d’un film. Le temps d’aimer est un scénario exigeant, mais aussi populaire, qui a vocation à rencontrer le plus de monde possible. Il faut de l’argent pour reconstituer toute cette époque, les années 50, alors que nous n’étions pas en train de promettre une comédie populaire. Un de notre gros travail a été d’arriver à un film qui puisse se réaliser. 

Etait-il plus facile de partir de ce scénario vierge ou d’adapter un livre, comme vous avez pu le faire par exemple avec le roman de Maylis de Kerangal, Réparer les vivants ? 

Gilles Truand : L’éternel débat entre fidélité et trahison est toujours profond quand on adapte un roman. Mais comme disait un certain Gilles Perrault qui a écrit le garçon aux yeux gris “un bon scénariste est un bon traître” . Il faut donc savoir trahir. Pour la pure fiction, qui part ici d’une histoire intime et personnelle de Katell, peut aussi donner des ailes. On peut trouver la même liberté dans l’adaptation et la création, à condition par contre que les auteurs n’aient pas de droits de regard. Si on est piégé sous la tutelle d’un écrivain, c’est la catastrophe assurée. Quand on a voulu adapter le roman de Maylis de Kerangal, elle nous a laissé entièrement libres dans la réalisation. 

Était-il évident pour vous que vos deux acteurs principaux pour incarner Madeleine et François seraient Anais Demoustier et Vincent Lacoste ? 

Katell Quillévéré : Je n’ai pas fait de casting pour ce film, Vincent Lacoste et Anaïs Demoustier étaient mes premiers choix. D’abord, j’ai eu envie de me diriger vers des acteurs au parcours riche et divers. Cela me permettait de voir où ils étaient allés et surtout ce qu’ils n’avaient pas encore explorés. Ensuite, je souhaitais travailler avec des acteurs autour de la trentaine, pour qu’ils soient crédibles tant dans la vingtaine que dans la quarantaine, comme l’histoire se balaye sur 20 ans. Vincent et Anaïs faisaient partis des acteurs que je trouvais les plus intéressants et qui m’ont donné envie d’emmener vers ce nouveau chemin.

Vincent Lacoste : Dès que j’ai lu le scénario, j’ai eu conscience que c’était rare d’avoir un rôle aussi complexe, qui s’étend sur vingt ans, avec de nombreuses couches. Katell voulait que je rencontre ce personnage, que je perde du poids, que je boite. Il fallait que j’aille au plus près de François dans toute sa délicatesse et fragilité.

Comment trouve-t-on en soi cette fragilité ?

Vincent Lacoste : C’était assez difficile d’être toujours très fébrile. C’est un rôle qui demandait énormément de concentration. Par exemple : comment incarner l’énervement quand on est fébrile ? C’était parfois assez complexe de garder le personnage tout du long. La perte de poids a tout de même aidé. Je n’aimais pas mon corps sur cette période donc incarner le malaise était peut être plus facile. Katell m’avait aussi demandé de m’inspirer du de Daniel Day-Lewis dans Le Temps de l’innocence ou Phantom Thread, qui incarne des personnages assez bourgeois, empruntés, délicats.

Tout en étant plongé dans une autre époque : la France des années 50

Vincent Lacoste : Katell avait fait un site pour toute l’équipe du film dans lequel on trouvait des archives de l’époque, de la documentation sur les femmes tondues, sur la communauté homosexuelle à cette époque, avec des articles de journaux. On lisait qu’il y avait des descentes de police, dans des bars à Paris. J’ai lu aussi beaucoup sur Châteauroux à cette époque, qui était une petite Amérique à l’époque. La ville vivait au rythme des soldats qui venaient boire et faire la fête dans toute la ville en dehors de leurs missions. On était sur une moyenne de 40 bières par soir pour les GI. 

Katell Quillévéré : On a aussi rendu visite avec Gilles Taurand à la plus vieille prostituée de Châteauroux, qui avait bien connu cette période-là. On a pu recueillir de nombreuses anecdotes sur l’ambiance de cette époque, ce qui nous a évidemment aidé pour le scénario.

Quand on est acteur, est-il plus facile de se rajeunir ou de se vieillir ? 

Vincent Lacoste : J’avais 28 ans quand j’ai tourné le film. Donc j’étais plus proche du François jeune que du François dans sa quarantaine. Mais je pense que les costumes aidaient. C’était finalement une histoire de postures, d’attitude, plus que de maquillage. L’assise est différente à quarante ans. Il devient prof, aussi. Son assurance change, même s’il reste évidemment fébrile.

Katell Quillévéré : Ce qui était beau à voir, d’un oeil de réalisateur, c’était la différence entre les premiers jours de tournage et la fin. Vincent était le personnage une fois sur 5 sur les premières prises. Puis petit à petit, il est le personnage sur la moitié des prises. Et enfin, il est complètement François dans l’intégralité des prises. Il m’a même surpris à proposer des choses à l’intérieur du personnage, qui allaient au-delà de ce que j’avais imaginé dans le scénario. 

Pourquoi, pour finir, Le temps d’aimer ? 

Gilles Truand : il y a d’abord ce clin d’œil à Douglas Sirk “Le Temps d’aimer et le Temps de mourir” . On parle également d’un couple qui prend beaucoup de temps à s’aimer. Cette question de durée est centrale car l’amour, à la différence de la passion, se mesure surtout à la durée. Le temps d’aimer, c’est donc tout le temps qu’il faut pour se connaître, se reconnaître, s’apprécier, se haïr aussi parfois. 

Katell Quillévéré : C’est aussi un film sur la maternité empêchée, qui est un sujet qui me tenait beaucoup à cœur avec une représentation peu conventionnelle de la mère, dans toutes ses failles. Il n’y a pas nécessairement d’inné ou d’acquis dans la relation mère-enfant. Il faut donc parfois du temps pour construire cette relation. C’est véritablement un film sur l’amour, sous toutes ses formes, qui circule souterrainement partout, tout le temps, à l’intérieur de personnages qui sont chacun à leur manière empêché. L’amour est partout, tout le temps, et pourtant nous sommes parfois empêchés et pudiques de l’amour. 

Merci à UGC Lyon pour l’organisation de cette rencontre presse ainsi qu’au Sofitel Lyon pour leur accueil.

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