L’aveu du vide

Parfois, je pleure ce que j’adule. Je critique les gens qui sont comme moi, dans leur bulle. J’ai la sécurité des mots, la sûreté de mes propos, et je tangue pourtant à chaque regard curieux. On tend une perche pour voir si la discussion prend. Mais c’est un fin jeu, car si l’on tire sur cette corde trop longtemps, la discussion se casse. On entrouvre timidement une porte. On questionne, on cite. Si la conversation prend, on entrouvre un peu plus. D’autres sont moins subtiles. Surtout à plusieurs. Ils s’en fichent de la délicatesse.
On migre alors sans transition dans l’à-côté. Dans ce que je déteste. Les conversations intellos inintelligibles qui séparent les convives. Tous s’accordent alors à sortir les grands noms. Les auteurs, les cinéastes, et même les maisons d’édition. Les gens qui ont écrit l’Histoire, les poètes, les airs de grandes chansons. Et il faut en être : sinon gare à la punition. Celle du silence, du rire timide, du sourire complaisant ou du profond ennui. Ces gros mots littéraires chantonnant à qui veut bien prêter l’oreille. Et tous ces bruits de rien s’additionnent dans une conversation lunaire.
Et c’est ce que j’admire, oui. J’avoue parfois être de ceux qui, ébahis, osent un mot ou deux. J’aimerais me dire alors que je n’étais pas l’un deux, dans une autre mise en scène.
Car ça peut aller très vite.
Plus vite qu’on ne le croit.
Cet enfermement.
Ce piège de l’entre-soi. Ce piège tout court : quand on aime fort, on ferme les portes de beaucoup de monde. Et c’est soi-même que l’on condamne, dans une pièce isolée du reste.
Le reste c’est parfois les choses simples.
Les soirées animées autour de quelques bouteilles vides.
Les dîners à bâcher tous les politiques stupides.
Les après-midis de plein soleil, où les corps virevoltent autour d’un barbecue.
Mais tous ces auteurs-fantômes dansent en cercle autour de nous. « Pas question de légèreté.  » Et c’est là que j’ai envie de crier.
Je pleure ce que j’adule car la culture a des maux contemporains. Elle crée pour satisfaire les bien installés et retire les chaises de ceux qui voudraient participer. Elle ne donne à manger qu’à ceux qui ont l’assiette pleine. De savoirs comme d’argent. Les deux, souvent.
Et de ces maux naissent l’hyper-niche ou l’hyper-accessible. L’un, audacieux, n’attirera pas foule. L’autre, engageant, perdra les passionnés.
Alors, dans une pièce isolée, entouré de fantômes, on réfléchit. Qu’est-ce qui m’anime ? De quoi, profondément, ai-je envie ? Alors je suis face au mur et à mon propre égo : n’avoir ni la connaissance pour l’un, ni l’humilité pour l’autre.
L’appétit d’apprendre, sans se faire surprendre.
De lever le voile sans pour autant ouvrir l’immensité.
Car dans l’immensité, on ne constate que son propre vide.

Tout ce que je sais : c’est que je ne sais rien.

© Pour le dire