Lieux publics

Dans le train pour Lille, de vieilles dames jouent aux cartes. Elles ont le regard rieur et les sourires complices. Peut-être sont-elles sœurs ? Ou vieilles amies ? Bon. Ce n’est pas très poli de dire “vieilles” amies pour des personnes d’un certain âge. Même si c’est le cas. Disons donc qu’elles doivent être de “bonnes” amies. Oui, voilà.

À un certain âge, c’est comme si l’expérience et les années vous privaient de pudeur. Vous osez plus facilement les regards francs, quitte à dire à l’autre – subtilement – “C’est moi que tu regardes ?” . Alors on se sent tout timide face à ces années de vécu. Comment rivaliser ? On tourne le regard, indéniablement. Presque gênés d’avoir osé interrompre cette partie de cartes qui ne se jouaient qu’entre elles. Au diable les passagers. Mais dans cette partie joyeuse, aucun écho ne semble dépasser leur carré de sièges. Elles sont là, silencieuses pour la plupart, mais bulldog pour les autres. Je tourne la tête vers la campagne Lyonnaise-Lilloise. Ce que les 3h30 de ce trajet semi-long a à nous offrir. Mince, ce n’est pas forcément beau. Tant pis, si j’ai commencé à prendre cette pause, je dois m’y tenir au moins quelques secondes. Histoire de. Mon téléphone vibre. Une notification. “Ouf, sauvée par le gong.

*

J’arrive dans un restaurant et le serveur m’indique une table. Mince, la table est pile entre deux couples. Tout ce que je déteste. Ce doit être la pire insulte à faire à une personne seule : lui montrer sa solitude en pleine face, entre deux plats du jour qui volent au-dessus des têtes des gens heureux – ou du moins, des gens à deux – et finissent alors posés sur les tables voisines. Madame, de l’eau ? Un verre ? “ Hum. Un coca. Zéro, s’il-vous-plaît. Avec une petite tranche de citron » .

Je vais lire, un peu. En attendant mon plat, qui ne sera pas du jour, mais à la carte. Parfois, il faut savoir maquiller sa solitude par des heureux événements. Des événements chers, si possible. On vous fout la paix quand vous avez, ou semblez avoir, de l’argent. Je tends toutefois l’oreille, attirée à la fois par les lignes noires de mon livre que par les discours volatiles des voisins. Les lignes ne sont pas fraîches, elles. Elles ont été posées il y a bien des années et qu’importe que j’y revienne dans dix minutes, dans deux heures ou dans vingt ans, elles seront toujours là. Peut-être plus aussi éclatantes, mais elles auront eu le mérite de braver les années sans prendre une ride.

Les conversations, elles, sont si éphémères. Vous pouvez arriver à un moment doux, à un premier rendez-vous, à la fin ou du moins ce qui s’y annonce. Puis il y a ces couples qui ne se parlent pas. Ou plus. Se parlaient-ils, avant ? Étaient-ils fougueux ? Tendres ? Ont-ils toujours été muets, quand ils se trouvent à deux ? Peut-être que certains communiquent dans les regards, aussi. Dans les commissures des lèvres se disent beaucoup de choses.

Le couple échange alors des banalités. Un Jacques un tel, une Monique une telle, un projet de maison, des petites filles mignonnes, un garçon paumé mais qui va se ressaisir. Une vie, en somme, résumée en quelques bribes de conversations volées. 

C’est tout ça qu’il se passe, dans des bistrots, des restos, des cafés. 

© Pour le dire