Yannick de Quentin Dupieux

Avec son avant-avant dernier long-métrage Incroyable mais vrai en 2022 (car Quentin Dupieux sort deux à trois films par an), le réalisateur montrait une nouvelle facette de son écriture. Connu et encensé pour son regard absurde sur des objets communs de la vie (d’une veste en daim avec Le Daim à un pneu tueur dans Rubber), le réalisateur écartait alors toute raison dans sa réalisations. Seulement, ces dernières années montrent que Dupieux peut et sait intelligemment disséminer du fond dans l’absurde. Yannick suivra-t-il cette nouvelle ère d’un absurde réfléchit ?

Yannick, fauteur de troubles sensible

Alors qu’il assiste à une pièce de théâtre au centre de Paris, Yannick rumine, se tord. Il n’apprécie clairement pas la tournure que prend le spectacle. Un problème d’écriture ? Un mauvais jeu d’acteur ? Une mise en scène bancale ? Si l’art est subjectif, il lui semble pourtant clair que la pièce est mauvaise. Alors il se permet d’intervenir. 

Si le début du film est parasité par de nombreuses objections des comédiens face à l’insistance du personnage principal, il prend alors plus de puissance lorsque celui-ci revient armé, offrant au film une toute autre tournure. De ripostes amusantes où l’on peut lire dans l’élocution rustre de Yannick une certaine affection pour le beau phrasé, on passe au drame. Yannick prend en otage toute l’assemblée d’une main armée. Seulement, on lit en son personnage une profonde envie de basculer la soirée qui lui semblait lourde et pénible en un divertissement léger. Il n’est au fond pas bien méchant, et s’épanche même vers les spectateurs pour leur tirer quelques bribes de leur vie. Pourquoi sont-ils venus ici ? Où ils en sont, dans leur vie ? Les relations qui les lient, de la mère à son fils, aux deux amies, puis aux amants. Pendant que les comédiens apeurés apprennent leur nouveau texte, Yannick, lui, s’assure du parti pris des spectateurs perdus entre la violence de la scène et la sympathie du personnage. Un peu comme nous, finalement.

De gauche à droite : Pio Marmai, Blanche Gardin, Sebastien Chassagne, Raphaël Quenard

Une violence à double lecture

Dupieux semble ici vouloir parler de la prise d’otage de l’art, au global. Du musée, au théâtre, jusqu’aux salles obscures, il dépeint l’enfermement du public dans un art qu’il a manifestement choisi. Et comme l’art est subjectif, parfois subtil et élitiste, il convient alors toujours de rester – aussi parce qu’on a acheté son billet -. Et ce, même lorsque la flèche du propos semble nous avoir râté. Yannick, lui, refuse cette prise d’otage figurée et renverse la situation en piégeant son bourreau d’une véritable prise d’otage. 

Si les moyens sont violents, Dupieux assume le trait jusqu’au bout en nous laissant à notre tour libre arbitre de rester. Car, oui, nous sommes la mise en abyme de ce qui est en train de se jouer en assistant à cette projection. 

En dehors de la violence du geste, l’ambiguïté réside en chaque personnage. Il y a d’abord ce comédien, le fanfaron Paul Rivière, interprété par Pio Marmai, qui défend son bout de viande dès la critique ouverte. Mais dans cette anarchie la plus complète, les âmes se révèlent. Dans un monologue asserti, il condamne ce qu’il est, ce qu’il joue, et tout le reste autour. Quitte à user de sadisme lorsque les cartes sont rebattues. 

Pio Marmai (gauche) et Raphaël Quenard (droite)

Il y a aussi Blanche Gardin, la seule comédienne du plateau, qui endosse un rôle qu’on lui connaît déjà : un personnage au libre parler et au cynisme scabreux. Sa révolte, à elle, est plutôt verbale, sans pour autant entrer dans l’action. Et des Trois Ours prostrés sur les planches, il y a le plus mignon, joué par Sébastien Chassagne, qui campe un rôle de pacifiste timide, acceptant son destin. Sa violence va vers ceux qui en abusent. 

Quatre figures, donc, et quatre modèles de révoltes. Qu’elle soit assumée, dissimulée ou bannie, la figure de la violence est une épée de Damoclès au-dessus du public et des artistes, en prémisse d’une scène finale furieusement attendue. 

Quelles têtes tomberont de leur pied d’estale ?

Yannick, la conclusion

Quentin Dupieux réussit brillamment cet exercice par un film court (1h07) mais suffisamment étoffé pour s’attacher à cet anti-héros désuet. Un écrit plus tendre, en proie à une critique sociétale qui jongle entre gros sabots et subtilité. Quentin Dupieux suit la tendance en misant ses jetons sur Raphaël Quenard, nouvelle figure en vogue – plus d’une douzaine d’apparitions dans des longs-métrages français entre 2022 et 2023 – dont il avait prêté seulement le rôle de second couteau dans Fumer fait tousser ou Mandibules. Il lui livre donc la teneur dramaturgique du film et cela fonctionne : Yannick nous touche en plein cœur, et arrive à placer du pathos dans une situation objectivement barbare. À voir. 

Photographies : © Chi Fou Mi Productions / Ateliers de Productions
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