Rencontre avec Laëtitia Colombani pour son film La tresse

La Tresse : du roman au film

Laëtitia Colombani, autrice et désormais réalisatrice de La Tresse était à Lyon pour présenter son film. Son roman, tout comme le long-métrage, retrace la vie de trois femmes. Smita, vivant en Inde avec sa fille et faisant partie de la caste des intouchables, une caste de la population destinée dès la naissance à une vie de servitude. Mais Smita refuse que sa fille grandisse dans ces conditions : elle veut le meilleur pour son avenir, elle qui n’a pas eu ce choix enfant. Giulia vit en Italie, près de la mer, et travaille chaque jour dans la fabrique de perruques de son père. Elle a repris la tradition ancestrale qui veut que chaque perruque soit fabriquée avec des cheveux naturels et italiens. Elle découvre, au détour du hasard, que l’entreprise familiale est criblée de dettes. Comment s’en sortir, dans une époque où tradition et mondialisation ne font pas toujours la paire ? Sarah, quant à elle, habite au Canada où elle exerce un métier passion : celui d’avocate dans un illustre cabinet. Elle ne compte pas les heures et s’écoute encore moins. Seulement, un jour, le pronostic tombe : elle est atteinte d’un cancer. Cette nouvelle va tout remettre en question et lui offrir une vraie réflexion sur la vie qu’elle mène. 

Après le roman publié en 2017, le tout premier de Laetitia Colombani et celui qui lui confère alors un statut international, l’autrice décide de l’adapter en film. Tout comme pour l’écriture du livre, elle retourne sur ces lieux riches d’apprentissages dans lesquels se dessinent sa fiction, pas si éloignée de la réalité de certains habitants. Rencontre. 

Interview avec la réalisatrice Laëtitia Colombani

Laetitia Colombani à Lyon, photographie prise par Pour le dire

Pour le dire : Était-ce une évidence que vous alliez être à la réalisation de La tresse et non pas en productrice, comme certains auteurs le font parfois ? 

Laetitia Colombani : Ma formation initiale est le cinéma. J’ai été formée à l’École Louis Lumière, à Lyon, et j’ai eu d’ailleurs l’occasion de réaliser deux longs-métrages avant de devenir écrivaine. Je ne pensais pas en faire un film un jour, car j’imaginais que réaliser un film qui se déroulerait en Inde, au Canada et en Italie soit beaucoup trop ambitieux. Avec le roman, on a une liberté complète, hors des frontières.
Des producteurs m’ont approché pour adapter ce livre en film, ouvrant à nouveau le sujet. J’ai eu un moment de vertige en reconsidérant la question : suis-je véritablement capable de me lancer dans cette aventure ? Cela dit, je ne voyais pas non plus quelqu’un d’autre s’emparer du sujet. J’avais peur que le film ne trahisse le roman si je le confiais à un réalisateur ou une réalisatrice. 

J’étais à la fois prise de vertige quand on m’a proposé d’adapter le roman. Mais quand je me suis posée la question de confier le projet à un autre; la réponse était non. Je voulais que le film soit fidèle au roman.” 

Dans le livre, la place des enfants semble presque secondaire. Or, dans le film, ils sont réellement acteurs de la vie de Smita et de Sarah, les deux mères de ce trio de femmes. Cela passe par des regards, par des mots. Comment avez-vous travaillé cette place ? 

Laetitia Colombani : Le point de départ de toute l’histoire vient pour moi de la fille de Smita. Elle ose dire un “non” au brahman du village, ce qui va lui valoir des coups. Elle est l’élément déclencheur de la prise de décision de Smita. Dans l’écriture du passage en Inde, j’imaginais quelque chose de très visuel. Smita et sa fille Lalita ne sont pas dans les mots, il y a peu de dialogues, en revanche leur lien est très fort. Effectivement, cela passe donc par les attitudes, par le regard. À l’inverse, pour la partie Canadienne, on sent que le langage fait partie inhérente de la vie de Sarah qui exerce le métier d’avocate : les mots sont donc son outil de travail. 

L'interprète de Lalita sur le tournage en Inde © La Fabrique films

Comment raconter de manière la plus neutre et la plus exacte la vie de Smita et de sa fille, de la caste des intouchables, qui est sans doute celle qui est la plus éloignée de notre quotidien d’occidentaux ? Et de là, comment dépasser le challenge de ne pas tomber dans du pathos ou de l’excès ?

Laetitia Colombani : Je me suis beaucoup documentée mais c’est surtout en allant à la rencontre des habitants de petits villages en Inde que j’ai appris sur leur vie, leur culture, leur foi. Les intouchables sont rejetés, asservis, et leur condition n’évolue malheureusement pas. Un coiffeur a récemment dit : “je préfère mourir que de laisser un intouchable rentrer dans mon salon.” car toute sa famille en serait déshonorée. J’ai rencontré une fille de 15 ans qui était intouchable et qui n’était absolument pas étonnée de ces affirmations. Elle m’a dit : “Toi tu viens d’un pays où on parle d’égalité et de liberté. Mais cela n’existe pas chez nous.” Je crois que l’Inde est le seul pays où la discrimination est institutionnalisée à si grande échelle. Il peut y avoir des envies de révolte, mais la philosophie indienne veut aussi que la vie actuelle n’est qu’un passage. Et la prochaine sera peut-être meilleure. Cette résignation peut nous paraître étonnante pour nous, occidentaux qui sommes à la recherche continue du bien-être immédiat.

La musique joue un rôle essentiel dans votre œuvre. Et quel meilleur compositeur que Ludovico Einaudi (Intouchables, Nomadland, The Father…). Comment s’est déroulée cette rencontre avec ce compositeur italien, qui est d’ailleurs très régulièrement en tournée pour des concerts à guichets fermés ?

Laetitia Colombani : Ludovico Einaudi fait partie de mon quotidien. Je l’écoute quand j’écris, quand je lis, ou dans tout autre phase de mon quotidien. Alors quand on m’a demandé avec qui je souhaitais travailler, j’ai tout de suite dit Einaudi. Seulement, il travaille de moins en moins pour le cinéma car ses concerts ont pris plus de place. J’ai donc décidé de lui écrire une lettre et lui ai envoyé mon roman, traduit en italien, comme une bouteille à la mer. Six mois ont passé et j’ai un jour eu une réponse où il me disait avoir adoré le livre. Sa musique est une voix à part entière du film : il fallait un fil qui nous amène d’une partie à une autre, et c’est le rôle de la musique. 

Il y a une importance également dans le choix de certaines esthétiques : on distingue alors que la dominante de l’Inde est la couleur rouge, de l’Italie la couleur bleu et du Canada le beige. D’ailleurs, nos trois héroïnes échangent parfois ces couleurs par petite touche avec Giulia qui porte un ruban rouge dans les cheveux ou Sarah une étole rouge. Comment avez-vous travaillé cela ? 

Laetitia Colombani : Avant d’écrire le roman, j’ai suivi une masterclass de Guillermo Arriaga, réalisateur entre autres d’Amours chiennes, et longtemps scénariste d’Iñárritu. Il disait dans cette grande conférence qu’il aimait associer ses personnages à un élément. À l’écriture du livre, j’ai alors associé Smita à la terre, Giulia à l’eau et Sarah au verre, à la glace. Pour le film, j’ai donc demandé au chef opérateur de travailler sur ces trois couleurs, de manière subtile, pour conserver ces associations. On retrouve donc des dominantes, avec ce lien de la couleur rouge pour symboliser le lien entre les trois personnages. 

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Interview réalisée par Clara Passeron (Pour le dire) à Lyon, 2e.
Merci à Laetitia Colombani pour son accessibilité
ainsi qu’à Pathé Lyon et UGC Lyon pour cette rencontre.

© Pour le dire