Rencontre avec Rudy Milstein et Géraldine Nakache pour Je ne suis pas un Héros

Rencontre avec Rudy Milstein et Géraldine Nakache pour Je ne suis pas un Héros

Je ne suis pas un héros avec Vincent Dedienne, Géraldine Nakache, Clémence Poésy, Isabelle Nanty, Sam Karmann.

Louis (Vincent Dedienne), jeune avocat, voit sa vie basculer lorsque son médecin lui annonce par erreur qu’il a un cancer. Au travail, les regards changent. Il est alors chargé de défendre un laboratoire accusé d’avoir provoqué des cancers, il fait face à des militants opposés, Hélène (Géraldine Nakache) et Julien (Rabah Naït Oufella). Cette rencontre pousse Louis à remettre en question la nature de son combat. L’éthique et la morale s’immiscent tant dans sa vie privée, où il est perçu comme malade par tous, que dans sa vie professionnelle.

Interview avec Rudy Milstein et Géraldine Nakache

Pour le dire : On sent que vous portez une certaine tendresse envers votre personnage, Louis, interprété par Vincent Dedienne. Il est maladroit, mais jamais totalement à côté de la plaque. Quels étaient vos messages en écrivant ce personnage ?

Rudy Milstein : Je voulais présenter un personnage qui est hyper talentueux, intelligent, rempli de qualité, mais qui, auprès de la société, est un looser. Finalement, c’est surtout une histoire de regards et de perceptions. Je me suis inspiré de ma vie où on m’a souvent pris pour un simplet parce que j’étais sympa, souriant. La phrase qui résume pour moi la problématique du personnage est “gentil, ce n’est pas un compliment”. 

Vous qui êtes issu du théâtre, en quoi cela vous a-t-il aidé à passer à l’écriture d’un film ?

Rudy Milstein : Le théâtre est une boîte noire dans laquelle il faut faire exister tout un monde, avec peu de moyens. L’un des principaux moyens que l’on a sont les mots. Il y a donc un énorme travail sur les dialogues, le rythme, faire exister les protagonistes avec plusieurs couches. L’écriture est donc essentielle. Faire partie de ce milieu m’a aussi aidé à choisir les personnes avec qui je souhaitais travailler. Je cherchais en eux l’envie de faire partie d’une troupe, avec Géraldine Nakache qui voit toujours en l’autre le moyen de progresser et pas un rival. 

Géraldine Nakache : Même l’équipe technique faisait partie de cette troupe. On suivait Rudy, qui nous avait tous choisi, autour de ce projet commun. C’était très agréable comme tournage. C’était aussi un bonheur de jouer avec des dialogues ciselés, qui offrent une liberté folle d’interprétation. 

Géraldine Nakache interprète Hélène, une jeune femme militante avec un fort débit, et Vincent Dedienne est plutôt un homme sensible, hésitant, empli d’incertitudes. Comment ce choix d’acteurs a-t-il contribué à la réussite du film ? 

Rudy Milstein : C’est vrai que l’on dit que la réussite d’un film tient à 90% sur le choix du casting [NDLR : citation du réalisateur américain Martin Scorsese]. Vincent avait cette grande force d’analyser le texte et de savoir tout de suite quel sous-texte y inscrire, comment ajuster sa diction pour faire rire, ou créer de l’émotion. 

Géraldine Nakache : Il faut aussi dire que Vincent et Rudy se sont bien trouvés. Ils ont la même musicalité, la même finesse de jeu et Vincent est également auteur car il écrit ses seul en scène. Cet ADN commun a évidemment aidé à la fluidité des scènes lors du tournage. En tout cas, en tant qu’autres comédiens, on assistait à une certaine évidence autour de cette collaboration. 

Rudy Milstein : C’était assez évident, en effet. Je ne m’en suis pas tout de suite rendu compte car je pensais que Vincent était naturellement comme ça [comme le personnage de Louis]. Mais après le tournage, on en a discuté et il m’a dit : “Je ne suis pas du tout comme ça dans la vraie vie, je suis allé là où tu voulais m’emmener” . Ce qui souligne d’autant plus son travail naturel d’acteur.

Hélène (Géraldine Nakache) et Louis (Vincent Dedienne)

Les personnages d’Hélène et de Louis apportent une véritable fraîcheur. Ils disent tout haut ce qu’ils pensent, sans forcément se soucier du regard de l’autre. Ils ne maquillent pas les apparences : ils sont dans le vrai, le brut.

Rudy Milstein : C’est tellement un fantasme de se décharger de ce que les autres pensent de nous ! Devoir tout le temps séduire, plaire. J’ai imaginé des personnes qui s’en foutraient de ce jeu et rapport de séduction. Je voulais aussi parler de ce que l’on fait, des émotions refoulées. Quand j’étais adolescent, par exemple, ça partait dans tous les sens. Je pleurais, j’avais des excès de rage. J’avais presque envie d’être ce “bout de bois” que devient le personnage que j’incarne dans le film [NDLR : Rudy Milstein interprète le voisin de Louis, qui à la suite d’un AVC ne ressent plus aucune émotion.] Le personnage de Géraldine, lui, a un trop plein d’émotions. Elle parle tellement et est débordée par tout ce qu’elle pense qu’on ne la prend pas au sérieux.

Géraldine Nakache : Je lis souvent un livre à ma fille qui parle des émotions à travers les couleurs. Elles sont personnifiées, un peu comme dans Vice-versa de Pixar. Je trouve que ce film montre vraiment ce spectre d’émotions possibles, comme un manuel d’éducation.

Rudy Milstein : Tout ça avec des enjeux de place et d’apparences. 

Même dans le rôle des parents. Isabelle Nanty a dit dans l’émission Un bon moment qu’elle aurait aimé être une meilleure mère pour le personnage Vincent Dedienne. 

Rudy Milstein : Tout à fait : Elle me répétait pendant le tournage : “Mais je suis méchante avec lui ! J’ai pas envie d’être méchante…” et je lui répondais alors “Tu n’es pas méchante, tu es juste malheureuse”. Son personnage n’est pas à la place qu’il devrait être, car cette mère représente une génération de femme qui a dû sacrifier sa carrière au moment où elle est devenue mère et a dû s’occuper de son fils. À l’époque on ne se posait pas la question de qui resterait au foyer : il fallait qu’une personne du couple se « sacrifie » pour élever leur enfant. 

Isabelle Nanty dans le rôle d'Isabelle, la mère de Louis

Au-delà des thématiques des apparences, des émotions, de la place, il y a aussi ce procès défendu par le cabinet d’avocats de Louis, qui est de défendre un laboratoire accusé d’avoir provoqué les cancers des plaignants. Cela rappelle des récents films comme Dark Waters ou encore Goliath, et évidemment des faits de société comme l’utilisation de glyphosate en France. Était-ce important pour vous de couvrir en toile de fond cet autre sujet ?

Rudy Milstein : Quand je vois toutes ces choses aberrantes que la législation laisse passer, ça me rend fou. On sait que tel ingrédient sur telle étiquette est dangereux pour la santé, on connaît aussi les risques des pesticides, du glyphosate, mais on les laisse. On se dit que c’est du long terme, que c’est loin, « gérons déjà les urgences d’aujourd’hui ». Et pourtant tous ces sujets nous rattrapent, notamment par le nombre d’individus malades à cause de ces produits. 

Géraldine Nakache : Il y avait aussi l’idée de faire parler les invisibles, avec le personnage d’Hélène, de Julien. On ne les voit pas, dans notre vie de tous les jours. Alors dans la fiction, il était possible de leur donner la parole et les mettre au cœur du réacteur.

Rudy Milstein : il y a aussi ce dilemme pour les malades de continuer à se battre ou de prendre la  somme d’argent qu’on leur tend. Ils peuvent alors se demander comment ils préfèrent finir leurs jours : en se fatiguant dans la lutte ou en vivant confortablement.

Géraldine Nakache : Une des répliques du film dit d’ailleurs “Et si le courage était un virus que l’on pouvait se transmettre, d’individus en individus ?” De Julien en Louis, par exemple.

Merci à Rudy Milstein et Géraldine Nakache pour leur grande accessibilité et sympathie.

Merci à UGC Lyon pour l’organisation de cette rencontre presse ainsi qu’au Sofitel Lyon pour leur accueil. 

© Pour le dire