Sick of Myself de Kristoffer Borgli 

Quel cocktail étrange peut se créer lorsque l’on assemble deux narcissiques ? Lorsque deux âmes en peine errent à se trouver et noient l’inconstance de la vie par du matériel et des conversations futiles ? Rien de bon, c’est évident. Mais si les opposés s’assemblent et les caractères semblables s’effritent, ici il y a du bon à regarder la chute de deux personnages toxiques et les voir s’affranchir, épris dans leur folie respective, du regard des autres.

Une comédie noire et grinçante 

Signe (à prononcer à la norvégienne avec le “g” guttural) et Thomas sont en couple depuis trois ans. Si tout semble réussir à Thomas, designer singulier volant chez les uns pour exposer chez les autres, Signe, elle, semble être une spectatrice itinérante de sa propre vie.
Un jour, elle assiste à une scène effroyable de morsure de chien sur le cou d’une jeune femme, qui perd alors l’équilibre dans ses bras. Le sang jaillit, les visages se tordent, et, lorsque les pompiers arrivent, Signe tient fermement cette inconnue baignée de sang. Dans cette cohue soudaine, tous les regards sont alors braqués sur elle. Est-elle sa sauveuse ? De cet instant de gloire morbide, Signe en fait une obsession. Ce shot immédiat d’attention ouvre alors la voie à l’addiction… Jusqu’au pire. 

La toxicité : du chimique au genre humain

Sick of Myself explore toute la toxicité dans laquelle l’Homme est baigné depuis l’ère numérique. Entre soif de reconnaissance et besoin de prouver à soi et aux autres que l’on est différent dans une masse de huit milliards de semblables, la quête narcissique de chacun mène à de grands maux. Et aux grands maux… Les grands remèdes. Signe, elle, choisit la stratégie opposée : elle soigne ses maux en se rendant malade. Par un esthétisme proche de Julie (en 12 chapitres) de Joachim Trier, confrère norvégien à qui le réalisateur emprunte le comédien fétiche Anders Danielsen Lie pour un rôle de médecin proche d’un caméo, le cinéaste Kristoffer Borgli dissèque la montée en puissance d’une obsession. Si la bande-annonce nous laisse entrevoir les prémisses de la maladie de Signe, elle n’est rien comparée à celle qui la ronge en secret. Car la folie, plus vicieuse, se fraye aisément un chemin dans nos fêlures.

Miroir, mon beau miroir

Dans ce milieu clos toxique entre un Thomas qui semble plus consterné que désolé et une Signe boulimique d’attention, Kristoffer Borgli dessine une société tout autour d’eux tout aussi malade et cynique qu’eux. Le monde de l’art est caricaturé par des grands titres placardés comme des psaumes sur notre écran, les agences de mannequinat sont des hyènes en quête de la prochaine muse qui saura choquer et faire couler l’encre des tabloïds, les vernissages où l’élite se presse dans un entre-soi narcissique pour admirer des œuvres dont ils ne saisissent pas le sens. Cette société du “sensationnel” remet presque à leur juste place nos deux héros Thomas et Signe, qui jouent finalement les cartes de ce grand jeu d’hypocrisie.

La plume acérée du cinéaste et scénariste norvégien invite plus d’une fois l’humour dans ce mélodrame immoral, rendant le tout grisant pour tout amateur de second degré. Du design d’intérieur aux mobiliers Ikea, du shooting photo à une scène de carnage, d’une Une de grand magazine à une embuscade dans une petite boutique de mobilier design, chaque héros qui se croirait au sommet de son art n’est jamais que plus haut pour en tomber. Et la chute est délicieuse. À voir (vite) au cinéma.

La bande-annonce : https://www.youtube.com/watch?v=ay15qDi8Tts

Photographies : © Tandem Films
© Pour le dire

Ce contenu a été publié dans Film. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.